Evolution du bec en kératine chez les dinosaures

Les dinosaures sont un groupe d’archosaures très diversifié, avec une grande multitude d’écologies alimentaires. Il existe des dinosaures végétivores, omnivores, carnivores, piscivores, invertivores… Pour développer ces écologies alimentaires, les dinosaures présentent une palette de spécialisations morphologiques, notamment le bec de kératine. Ce bec se retrouve notamment chez les oiseaux actuels, mais aussi chez les ornithischiens comme Triceratops, ou chez les sauropodes comme Bajadasaurus (voir cet article). Aguilar-Pedrayes et ses collègues analysent ainsi l’évolution du bec en kératine chez les dinosaures, et son rôle associé aux dents.

Photographie d’une mâchoire supérieure de Triceratops, montrant la partie où se situait son bec de kératine (en rouge) ; reconstitution squelettique de Triceratops, par Scott Hartman

Aguilar-Pedrayes et ses collègues ont analysé la surface des mâchoires de 40 espèces de théropodes, 23 espèces de sauropodomorphes et 30 espèces d’ornithischiens. Sur la base de cette analyse, ils ont ensuite déterminé si ces mâchoires portaient ou non une gaine de kératine. Ils ont également déterminé si les mâchoires de ces dinosaures étaient édentées ou non, et si les rangées de dents présentaient des discontinuités. Aguilar-Pedrayes et ses collègues ont ensuite construit un arbre phylogénétique retraçant l’évolution de la gaine de kératine sur les mâchoires des dinosaures

Arbre phylogénétique des dinosaures montrant la répartition de la présence d’une couverture de kératine sur les mâchoires, et la présence de dents ou non sur les mâchoires

Aguilar-Pedrayes et ses collègues constatent que la présence de kératine sur les mâchoires des ornithischiens est un caractère ancestral. Tous les ornithischiens en sont dotés, et combinent une couverture de kératine avec la présence de dents. Aguilar-Pedrayes et ses collègues déterminent que chez les ornithischiens, le traitement oral des végétaux était spécialisé. La kératine sur la mâchoire formait un bec pour couper la nourriture, tandis que les dents la broyaient. C’est un fonctionnement analogue à la dentition hétérodonte des mammifères.

Arbre phylogénétique des ornithischiens montrant la répartition de la présence d’une couverture de kératine sur les mâchoires, et la présence de dents ou non sur les mâchoires

Aguilar-Pedrayes et ses collègues constatent que la présence de kératine sur les mâchoires des théropodes est répartie chez plusieurs clades de coelurosaures. Les ornithomimosaures, les oviraptorosaures et les oiseaux dérivés ont développé des couvertures de kératine sans dents, formant un bec. Les thérizinosaures et les oviraptorosaures basaux ont développé des couvertures de kératine avec des dents, associant dents et bec comme chez les ornithischiens. Pour Aguilar-Pedrayes et ses collègues, le bec de kératine des théropodes est associé à une alimentation omnivore ou végétivore. Cela a pu permettre de réduire le stress mécanique de la mâchoire, et de faciliter la découpe des végétaux.

Arbre phylogénétique des théropodes montrant la répartition de la présence d’une couverture de kératine sur les mâchoires, et la présence de dents ou non sur les mâchoires

Aguilar-Pedrayes et ses collègues remarquent que la présence d’une couverture de kératine sur les mâchoires des sauropodomorphes est répartie chez plusieurs clades. Ce caractère est apparu indépendamment chez les massospondylidés et les neosauropodes. Les genres Leyesaurus et Adeopapposaurus sont deux massospondylidés présentant une association entre des dents et un bec de kératine. Les neosauropodes (groupe comprenant notamment les mamenchisauridés, les diplodocoidés, les brachiosauridés et les titanosaures) ont une association entre des dents et un bec de kératine situé sur la mâchoire supérieure, sauf les mamenchisauridés qui présentent aussi un bec sur la mâchoire inférieure.

Arbre phylogénétique des sauropodomorphes montrant la répartition de la présence d’une couverture de kératine sur les mâchoires, et la présence de dents ou non sur les mâchoires

Aguilar-Pedrayes et ses collègues indiquent que le bec de kératine des sauropodomorphes a permis de maintenir en place les dents. Cette solidification de la position des dents dans la mâchoire a permis une meilleure efficacité du remplacement dentaire. Aguilar-Pedrayes et ses collègues en concluent que les sauropodomorphes dotés d’un bec pouvaient effectuer des remplacements dentaires plus rapides. Cela leur a permis de se nourrir de végétaux robustes usant plus les dents, puisque leurs dents étaient plus souvent remplacées. Leyesaurus et Adeopapposaurus ainsi que les neosauropodes étaient donc spécialisés dans une alimentation à base de végétaux plus robustes.

Photographies de la mâchoire supérieure de l’ornithopode Thescelosaurus (en haut à gauche), du théropode Tyrannosaurus (en bas à gauche) et des mâchoires du sauropodomorphe neosauropode Abydosaurus (à droite) ; on note en rouge la présence d’une couverture de kératine et en bleu l’absence d’une couverture de kératine

Aguilar-Pedrayes et ses collègues ont cherché à déterminer si la présence d’une couverture de kératine sur les mâchoires entraînait une perte des dents. Ils constatent que la présence d’un bec de kératine influence une réduction du nombre de dents, mais pas une perte totale des dents. En effet, le bec de kératine est souvent une spécialisation associée aux dents. Un bec de kératine édenté est plutôt une exception chez les dinosaures, dont les oiseaux actuels sont un exemple. Toutefois, Aguilar-Pedrayes et ses collègues n’expliquent pas comment certains groupes de dinosaures ont pu perdre entièrement leurs dents.

Référence : Aguilar-Pedrayes, I.: Gardner, J.D.; Organ, C.L., 2024, The coevolution of rostral keratin and tooth distribution in dinosaurs. Proceedings of the Royal Society B. 291(2015): 20231713.

Toutes les images proviennent d’Aguilar-Pedrayes et al., 2024, à l’exception de la première qui se compose d’une figure d’Aguilar-Pedrayes et al., 2024 et d’une œuvre de Scott Hartman

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