Nouveau mosasauridé : Thalassotitan

En 1952, Arambourg rapporte plusieurs dents du Maastrichtien du Maroc sous le nom de Mosasaurus (Leiodon) cf. anceps. Machalski et al. (2003) contestent cette assignation et l’année suivante Bardet et al. (2004) réfèrent les spécimens à Prognathodon sp. Les études suivantes s’accorderont sur le fait que ces spécimens représentent une nouvelle espèce de Prognathodon. Les deux récentes études de Longrich et ses collègues en 2021 ont assigné ces spécimens à Prognathodon aff. saturator. Longrich et ses collègues ont réalisé une étude pour décrire en détail la matériel assigné à Prognathodon aff. saturator du Maroc, décrivant ainsi le nouveau genre Thalassotitan (« géant marin ») avec pour espèce type T. atrox.

Planche d’Arambourg, 1952 représentant les dents de Mosasaurus (Leiodon) cf. anceps

T. atrox est basé sur un syntype composé de deux spécimens : MNHM.KH.231, un crâne assez complet, des vertèbres cervicales et dorsales et des côtes (qui présente d’ailleurs des traces de charognage par des requins); OCP DEK-GE 417, un crâne assez complet, des vertèbres cervicales et dorsales, des côtes, la ceinture pectorale et les membres antérieurs. Plusieurs spécimens lui ont été référés comprenant un crâne partiel, des vertèbres cervicales et dorsales et des côtes ; des fragments crâniens et des vertèbres dorsales ; un crâne partiel avec des os de membres ; un crâne partiel ; un crâne partiel et des vertèbres cervicales ; des fragments crâniens et une côte ; un dentaire et un maxillaire ; un maxillaire isolé ; trois dentaires isolés ; des vertèbres dorsales et des côtes ; des mâchoires partielles. Tous ces fossiles proviennent de la Couche III des phosphates, qui date de la fin du Maastrichtien. En plus de ce matériel, un grand nombre de dents (dont celles décrites par Arambourg) du Maroc ou même d’autres pays comme la Pologne peuvent lui appartenir.

Syntypes de Thalassotitan atrox (MNHM.KH.231 à gauche et OCP DEK-GE 417 à droite)

Thalassotitan a été classé au sein de la tribu des Prognathodontini (Mosasauridae, Mosasaurinae) par l’analyse phylogénétique de Longrich et ses collègues. Cette analyse phylogénétique met également en doute la monophylie du genre Prognathodon, ce qui pourrait entraîner de nombreuses modifications dans la taxonomie des mosasaures. Par exemple P. currii et P. saturator pourraient être à l’avenir attribués à Thalassotitan. Toutefois Longrich et ses collègues s’abstiennent d’opérer à des changements car ils nécessitent une analyse plus poussée de la classification des mosasaurinés.

Position phylogénétique de Thalassotitan au sein des mosasaurinés

Mesurant 9 à 10 mètres de longueur, Thalassotitan était un mosasaure géant. Il présente de nombreuses adaptations cohérentes avec un rôle de prédateur apex en plus de sa taille, comme un crâne massif et des dents robustes qui lui auraient permis de s’attaquer à tous types de gros vertébrés (tortues, mosasauridés, elasmosauridés…). Son museau court et large, caractéristique convergente avec les orques modernes, lui conférait une grande puissance de morsure en garantissant la solidité du crâne. Une autre convergence avec les orques est la morphologie et le nombre des dents, particulièrement adaptés à la chasse de grosses proies aux os solides. La kinésie crânienne (capacité du crâne à se déformer pour manger des proies normalement trop grosses, au détriment de la force de morsure) est un caractère assez répandu chez les squamates et par conséquent chez les mosasaures. Elle est toutefois très réduite chez Thalassotitan et l’articulation des mâchoires ressemble beaucoup plus à celle des Tyrannosaurini (Tyrannosaurus et Tarbosaurus), indiquant une très grande force de morsure.

Comparaison de taille entre Thalassotitan atrox, un orque et un humain

Nous avons la chance de connaitre de nombreux spécimens de Thalassotitan ainsi que la faune qui l’entourait. Cela a permis à Longrich et ses collègues d’étudier son comportement grâce à l’usure de ses dents, la taphonomie de la faune associée à ses fossiles et les pathologies des spécimens de T. atrox. L’usure de ses dents est exceptionnelle, plus importante que chez n’importe quel autre mosasauridé, plutôt similaire à celle des hyènes. La majorité des dents des mâchoires sont très usées voire cassées et ce phénomène s’est produit lors du vivant de l’animal. Ces signes d’usures ne sont pas compatibles avec une alimentation à base de poissons, même géants, mais suggère plutôt la chasse de gros vertébrés osseux à savoir les reptiles marins. Une grande quantité des fossiles de la Couche III sont rongés par de l’acide gastrique et parfois brisés. Pour les poissons, le responsable serait plutôt un mosasaure piscivore mais pour les grands vertébrés, l’auteur serait sans aucun doute Thalassotitan.

Spécimen réferré (MHNM.KH.396) à T. atrox montrant des signes d’usure dentaire et des traces de morsure par un congénère

Ces os digérés suggèrent que les animaux ont été avalés en entier (comme les serpents) et/ou déchirés en morceaux puis avalés (comme les crocodiles). En plus de cela, plus de la moitié des spécimens de T. atrox présentent des lésions cicatrisées, dues à des morsures pour la plupart, causées dans la majorité des cas par des membres de la même espèce. Cela témoigne d’un mode de vie très violent avec des bagarres pour de la nourriture, des partenaires sexuels ou des deux. Toutes ces preuves suggèrent le fait que Thalassotitan était un prédateur apex agressif spécialisé, au mode de vie similaire à celui des orques ou des grands requins blancs en chassant de grands vertébrés marins.

Références : Longrich, N.R.; Jalil, N.-E.; Khaldoune, F.; Yazami, O.K.; PeredaSuberbiola, X.; Bardet, N., 2022, Thalassotitan atrox, a giant predatory mosasaurid (Squamata) from the Upper Maastrichtian Phosphates of Morocco. Cretaceous Research. 105315

Arambourg, C., 1952, Les vertébrés fossiles des gisements de phosphates (Maroc-Algérie-Tunisie). Notes et Mémoires du Service Géologique du Maroc. 92: 1-372

Longrich, N.R.; Bardet, N.; Khaldoune, F.; Yazami, O.K.; Jalil, N.-E., 2021a, Pluridens serpentis, a new mosasaurid (Mosasauridae: Halisaurinae) from the Maastrichtian of Morocco and implications for mosasaur diversity. Cretaceous Research. 104882.

Longrich, N.R.; Bardet, N.; Schulp, A.S.; Jalil, N.-E., 2021b, Xenodens calminechari gen. et sp. nov., a bizarre mosasaurid (Mosasauridae, Squamata) with shark-like cutting teeth from the upper Maastrichtian of Morocco, North Africa. Cretaceous Research. 104764.

Toutes les images proviennent de Longrich et al., 2022 a l’exception de la première qui provient d’Arambourg, 1952

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