Analyse de la convergence entre mosasaures et cétacés

La recolonisation du milieu aquatique par plusieurs lignées distinctes de tétrapodes a donné lieu à de nombreuses convergences évolutives. Une de ces convergences évolutives notables est celle entre les mosasaures et les cétacés basaux. Les deux groupes sont similaires de par leur parcours évolutif : changements dans la morphologie des membres des membres et du bassin, passage d’une nage ondulatoire (dite anguilliforme) à une nage propulsée par la queue (dite caranguiforme). Après plusieurs millions d’années d’évolution, les deux groupes ont atteint une distribution géographique globale et une grande diversité taxonomique. Souvent mentionnée, cette convergence n’a jamais été étudiée rigoureusement et c’est l’objectif de l’étude de Bennion et ses collègues.

Pour ce faire, l’écologie (étudiée avec les contenus stomacaux et l’usure des dents) et des mesures sur les squelettes permettant d’obtenir 10 rapports morphofonctionnels (dont les résultats fonctionnels et biomécaniques sont bien établis) ont été analysés sur 21 espèces de mosasauridés et 17 de cétacés.

Tylosaurus pembinensis (en haut ; mosasauridé) et Basilosaurus isis (en bas ; cétacé) reconstruits par Dimitri Bogdanov (les deux animaux ne sont pas à l’échelle). On peut superficiellement observer une convergence évolutive entre ces deux espèces.

Dans l’ensemble, les mosasauridés présentent un taux de disparité plus élevé que les cétacés. Les mosasauridés ont suivi une évolution en partageant les niches écologiques au sein de leurs clades, contrairement aux cétacés où chaque clade a occupé de nouvelles niches. Les cétacés ont des museaux moins profonds, des orbites plus petites, et des fenêtres temporales de taille plus variable et souvent plus grandes que les mosasauridés. De plus, leur musculature semble présenter plus d’avantages mécaniques que les mosasauridés. En définitive, seulement deux paires de traits fonctionnels (la taille, similaire, ne rentre pas en ligne de compte) sont significativement convergents entre les mosasauridés et les cétacés : la profondeur du museau par rapport à la longueur de la fenêtre temporale et la profondeur du museau par rapport à la largeur du museau. Aucune convergence au niveau du lien entre le mode de locomotion et l’alimentation n’est observée mais ce point reste le moins renseigné par les données dans l’analyse, donc cette conclusion n’est pas significative.

Mesures crâniennes sur les espèces Cynthiacetus peruvianus (A ; cétacé) et Prognathodon solvayi (B, C et D ; mosasauridé) permettant d’obtenir un rapport morphofonctionnel entre elles

Les analyses statistiques n’ont pas retrouvé de convergence générale entre les deux groupes mais plutôt des paires de convergences (une espèce convergente à une autre) liées à l’occupation d’une niche écologique similaire. Cette absence de convergence sur la trajectoire évolutive peut s’expliquer par une origine différente : les premiers mosasauroïdés étaient de petits prédateurs semi-aquatiques tandis que les premiers cétacés semi-aquatiques étaient déjà relativement grands et puissants avec une grande variété de types et de tailles de proies. En plus de cela, le contexte évolutif est différent puisque les mosasaures ont été confrontés à la concurrence avec les ichthyosaures, les plésiosaures, les pliosaures, les requins et les grands poissons téléostéens. Peut-être que la disparition des ichthyosaures et un renouvellement faunique au début du crétacé supérieur ont pu contribuer au rayonnement évolutif des mosasaures mais toujours est-il que les cétacés ont pu bénéficier de la crise crétacé/paléogène en n’étant plus concurrencés que par les requins. Un autre facteur de différenciation réside dans l’environnement puisque les mosasauridés vivaient dans un milieu marin chaud mais peu oxygéné tandis que les cétacés vivaient dans un milieu marin mieux oxygéné mais plus froid.

Analyse d’occupation de l’écomorphospace chez les cétacés (points) et les mosasauridés (triangles). On peut remarquer que les écomorphospaces ne se chevauchent que rarement (le cas des paires de convergences)

En 2022, Alfieri et ses collègues ont théorisé qu’une forte convergence écomorphologique se produit lorsqu’on considère une niche spécifique et restreinte avec une seule morphologie optimale unique. Cependant, une convergence incomplète peut se produire dans un environnement adaptatif (ici le milieu marin), où les groupes présentent des trajectoires similaires ou parallèles dans l’évolution écomorphologique, influencées par leur héritage ancestral. Les résultats de Bennion et ses collègues correspondent à ce schéma, où mosasauridés et cétacés ne présentent pas de pics optimaux d’écomorphologie et ont des trajectoires qui semblent fortement influencées par des facteurs phylogénétiques. Les premiers mosasauridés étaient de petits prédateurs de bas niveau. prédateurs de bas niveau, qui ont rapidement évolué vers une différentes écomorphologies et niches niches.

Une différence évolutive notable entre les deux groupes se dégage de l’analyse de Bennion et ses collègues : alors que les premiers mosasauridés étaient de petits prédateurs qui ont rapidement évolués vers de grands macroprédateurs, les premiers cétacés étaient probablement tous des macroprédateurs et montrent une tendance évolutive générale vers des adaptations pour des proies plus petites. Ces résultats suggèrent que l’évaluation qualitative de la convergence des tétrapodes marins est trop superficielle et peut négliger les différences plus nuancées d’écomorphologie entre les différentes radiations de tétrapodes secondairement aquatiques.

Références : Bennion, R.; MacLaren, J.; Coombs, E.; Marx, F.; Lambert, O.; Fischer, V., 2022, Convergence and constraint in the cranial evolution of mosasaurid reptiles and early cetaceans. Paleobiology. First View: 1-17.

Alfieri, F.; Botton-Divet, L.; Nyakatura, J.A.; Amson, E., 2022, Integrative approach uncovers new patterns of ecomorphological convergence in slow arboreal xenarthrans. Journal of Mammalian Evolution. 29:283–312.

Toutes les images proviennent de Bennion et al., 2022 sauf la première qui met en scène deux reconstitutions de Dimitri Bogdanov

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