Au début des années 1900, D. Hapke découvrit le crâne et quelques vertèbres de ce qu’il croyait être un ichthyosaure, dans le Valanginien de la formation géologique de Stadthagen (Hannover, Allemagne). En 1916, il porta le spécimen à l’attention d’Henry Schroeder qui le prépara et le décrivit en 1923. Schroeder décrivit le spécimen de Hapke et l’attribua au metriorhynchidé Enaliosuchus, sans toutefois le référer explicitement à son espèce-type E. macrospondylus. De par cette ambiguïté, Kuhn déclara en 1936 que ce spécimen était le représentant d’une nouvelle espèce d’Enaliosuchus, qu’il baptisa E. schroederi.

En 1980, Kaufmann et ses collègues signalèrent une mâchoire d’Enaliosuchus découverte dans la localité-type d’E. schroederi, pouvant potentiellement lui être référée. En 2000, Hua et ses collègues synonymisèrent E. schroederi à l’espèce-type E. macrospondylus. Cette décision fut largement acceptée, à l’exception de Karl et al. (2006) qui attribuèrent les spécimens d’E. schroederi et d’E. macrospondylus à Metriorhynchus sp. En 2009, Young et Andrade déclarèrent qu’E. schroederi était distinct d’E. macrospondylus mais que cette espèce appartenait en réalité au genre Cricosaurus. Il créèrent donc la nouvelle combinaison Cricosaurus schroederi.

Les études suivantes confirmèrent le statut valide de C. schroederi en tant qu’espèce de Cricosaurus. En 2024, Young et ses collègues réalisèrent une analyse phylogénétique (voir cet article) qui classa « C. » schroederi hors du genre Cricosaurus, dans une position de metriorhynchiné basal. Sachs et ses collègues redécrivent ainsi l’espèce « C. » schroederi qui s’avère avoir été un nomen nudum depuis son érection par Kuhn (1936). Etant donné son statut d’espèce distincte de Cricosaurus et d’Enaliosuchus mais aussi de nomen nudum, Sachs et ses collègues lui attribuent le nouveau nom de genre Enalioetes (« habitant des mers »), et officialisent le nom d’espèce Enalioetes schroederi.

Sachs et ses collègues expliquent que Kuhn n’avait pas fourni de description pour Enaliosuchus schroederi, renvoyant le lecteur à l’article de Schroeder (1923). Toutefois, Schroeder ne donnait pas de diagnostic différenciant E. schroederi d’E. macrospondylus. L’absence de ce diagnostic expliquant la nature unique d’Enaliosuchus schroederi rend invalide sa désignation de nouvelle espèce selon le Code International de Nomenclature Zoologique (CINZ). Les noms Enaliosuchus schroederi et Cricosaurus schroederi sont donc en réalité des nomens nudum, et seul le nouveau nom d’Enalioetes schroederi proposé par Sachs et ses collègues est valide.

L’holotype (MM Pa1) d’Enalioetes schroederi est un crâne presque complet auquel il manque le museau, associé aux 3 premières vertèbres cervicales. Sachs et ses collègues notent que la mâchoire mentionnée par Kaufmann et al. (1980) représente en réalité une mâchoire de grand poisson. Par conséquent, E. schroederi n’est connu que son holotype.

L’analyse phylogénétique de Sachs et ses collègues classe Enalioetes comme un membre basal de Metriorhynchinae. Plusieurs classements sont possibles mais le manque de données de comparaison avec les autres taxons ne permet pas de déterminer lequel est le plus probable. Enalioetes peut ainsi représenter un metriorhynchidé plus basal dans un clade avec Enaliosuchus et Neustosaurus (ces deux genres sont potentiellement synonymes selon Sachs et ses collègues), ou bien représenter un membre atypique de Rhacheosaurini.

Enalioetes a fait l’objet de plusieurs études sur son anatomie crânienne (sous le nom invalide de Cricosaurus schroederi) car il s’agit de l’un des rares metriorhynchidés pour lequel un crâne bien préservé en 3D est connu. Bowman et al. (2022), Cowgill et al. (2022, 2023) et Young et al. (2023) ont analysé la neuroanatomie et la morphologie des autres cavités endocrâniennes d’Enalioetes. Sachs et ses collègues notent ainsi qu’Enalioetes avait de petits bulbes olfactifs, comme les autres metriorhynchidés, ce qui indique qu’il avait un odorat assez faible.

Sachs et ses collègues synthétisent également les études précédentes en notant la présence d’expansions de la région olfactives chez Enalioetes. Selon eux, ces expansions correspondent à des glandes à sel, des organes qui auraient permis le dessalage du sang d’Enalioetes. Comme les autres metriorhynchidés, Enalioetes possède également des canaux palatins dans lesquels passaient des vaisseaux sanguins qui formaient une voie d’échange de chaleur. Il s’agit d’un mécanisme de thermorégulation propre aux thalattosuchiens et qui est traité plus en détail par Young et al. (2023) (voir cet article).

Enalioetes était un prédateur au crâne gracile, avec une morsure assez faible mais rapide, une dentition faite pour percer et des mâchoires allongées. Il possédait également de grandes orbites et des membres modifiés en nageoires, ce qui lui permettait de nager à de grandes vitesses et de suivre ses proies du regard. C’était un chasseur de proies rapides comme des poissons ou des céphalopodes. Enalioetes était un thalattosuchien spécialisé pour vivre en pleine mer, avec une anatomie très hydrodynamique et la présence de glandes à sel. Il vivait en compagnie du ptérosaure Targaryendraco, d’ichthyosaures ainsi que de l’elasmosauridé Lagenanectes.

Références : Sachs, S.; Young, M.T.; Hornung, J.J.; Cowgill, T.; Schwab, J.A.; Brusatte, S.L., 2024, A new genus of metriorhynchid crocodylomorph from the Lower Cretaceous of Germany, Journal of Systematic Palaeontology. 22(1): 2359946.
Schroeder, H., 1923, Ein Meereskrokodilier aus der unteren Kreide Norddeutschlands. Jahrbuch der Preußischen Geologischen Landesanstalt zu Berlin. 42: 352-364.
Kuhn, O., 1936, Fossilium catalogus, Animalia I, Pars 75: Crocodilia. W. Junk. p. 144.
Hua, S.; Vignaud, P.; Atrops, F.; Clément, A., 2000, Enaliosuchus macrospondylus (Crocodylia, Metriorhynchidae) du Valanginien de Barret-le-Bas (Hautes Alpes, France): Un cas unique de remontée des narines externes parmi les crocodiliens. Geobios. 33(4): 467-474.
Karl, H.V.; Gröning, E.; Brauckmann, C.; Knötschke, N., 2006, Revisión del género “Enaliosuchus” Koken, 1883 (Archosauromorpha: Metriorhynchidae) del Cretácico Inferior del NW de Alemania. Studia Geologica Salmanticensia. 42: 49-59.
Young, M.T.; Andrade, M.B., 2009, What is Geosaurus? Redescription of Geosaurus giganteus (Thalattosuchia: Metriorhynchidae) from the Upper Jurassic of Bayern, Germany. Zoological Journal of the Linnean Society. 157(3): 551-585.
Young, M.T.; Wilberg, E.W.; Johnson, M.M.; Herrera, Y.; Andrade, M.B.; Brignon, A.; Sachs, S.; Abel, P.; Foffa, D.; Fernández, M.S.; Vignaud, P.; Cowgill, T.; Brusatte, S.L., 2024, The history, systematics, and nomenclature of Thalattosuchia (Archosauria: Crocodylomorpha). Zoological Journal of the Linnean Society. zlad165.
Bowman, C.I.W.; Young, M.T.; Schwab, J.A.; Walsh, S.; Witmer, L.M.; Herrera, Y.; Dollman, K.N.; Choiniere, J.N.; Brusatte, S.L., 2022, Rostral neurovasculature indicates sensory trade-offs in Mesozoic pelagic crocodylomorphs. The Anatomical Record. 305: 2654-2669.
Cowgill, T.; Young, M.T.; Schwab, J.A.; Walsh, S.; Witmer, L.M.; Herrera, Y.; Dollman, K.N.; Choiniere, J.N.; Brusatte, S.L., 2022, Paranasal sinus system and upper respiratory tract evolution in Mesozoic pelagic crocodylomorphs. The Anatomical Record. 305: 2583-2603.
Cowgill, T.; Young, M.T.; Schwab, J.A.; Walsh, S.; Witmer, L.M.; Herrera, Y.; Dollman, K.N.; Turner, A.H.; Brusatte, S.L., 2023, Cephalic salt gland evolution in Mesozoic pelagic crocodylomorphs. Zoological Journal of the Linnean Society. 197: 812-835.
Young, M.T.; Bowman, C.I.W.; Erb, A.; Schwab, J.A.; Witmer, L.M.; Herrera, Y.; Brusatte, S.L., 2023, Evidence for a novel cranial thermoregulatory pathway in thalattosuchian crocodylomorphs. PeerJ. 11: e15353.
Toutes les images proviennent de Sachs et al., 2024, à l’exception de la première qui provient de Schroeder, 1923