Au Jurassique, les trois groupes principaux de sauropsides marins sont les plésiosaures, les ichtyosaures et les crocodylomorphes thalattosuchiens. L’évolution de l’écologie alimentaire de chacun de ces groupes ont déjà été étudiées individuellement, mais sans comparaisons avec les autres groupes principaux. Afin d’analyser la partition des niches écologiques et la concurrence entre ces trois groupes de sauropsides marins, Foffa et ses collègues comparent l’anatomie des mâchoires des représentants de ces groupes du Callovien de la formation géologique d’Oxford Clay (Angleterre) et du Kimméridgien de la formation géologique de Kimmeridge Clay (Angleterre).

Foffa et ses collègues ont analysé la morphologie des mâchoires des pliosauridés Pliosaurus, Liopleurodon, Simolestes, Eardasaurus, Peloneustes et Marmornectes, des plesiosauroidés Kimmerosaurus, Tricleidus, Cryptoclidus et Muraenosaurus, des metriorhynchidés Dakosaurus, Plesiosuchus, Geosaurus, Torvoneustes, Ieldraan, Suchodus, Tyrannoneustes, Metriorhynchus, Gracilineustes et Thalattosuchus, des teleosauroidés Neosteneosaurus, Machimosaurus, Charitomenosuchus, Proexochokefalos, Mycterosuchus et Lemmysuchus (étrangement appelé Triarisuchus par cette étude) et des ichthyosaures Thalassodraco, Brachypterygius et Ophthalmosaurus.

Les résultats des observations morphologiques de Foffa et ses collègues ont été soumis à une analyse morphométrique. Celle-ci a retrouvé un morphospace de carnivores de grande taille à la morsure puissante mais lente (grands pliosauridés et thalattosuchiens geosaurinés), un morphospace de carnivores plus petits mais à la morsure plus rapide (petits pliosauridés, thalattosuchiens metriorhynchinés et teleosauridés non-machimosaurinés), un morphospace distinct pour les ichthyosaures et un morphospace distinct pour les plesiosauroidés.

Les geosaurinés et les grands pliosauridés sont caractérisés par une morsure puissante mais lente, une dentition faite pour couper et percer, des mâchoires courtes et robustes ainsi qu’une grande taille. Cette combinaison de caractéristiques est typique de prédateurs chassant des vertébrés de grande taille. La différence d’occupation de niche entre les geosaurinés et les grands pliosauridés réside dans la taille corporelle. En effet, les pliosauridés étaient bien plus grands que les geosaurinés, ce qui leur aurait permis de s’attaquer à de plus grosses proies.

Les petits pliosauridés, les metriorhynchinés, les teleosauridés non-machimosaurinés et les ichthyosaures se caractérisent par une morsure plus faible mais rapide, une dentition faite pour percer, des mâchoires allongées et graciles ainsi qu’une plus petite taille. Cette combinaison de caractéristiques est typique de prédateurs chassant des proies rapides comme des poissons ou des céphalopodes. Les ichthyosaures occupaient une niche écologique différente de par leur nage très rapide ainsi que leur capacité à nager en eaux profondes.

Les teleosauroidés Machimosaurini et les geosaurinés du clade T sont des composantes fauniques particulières puisque leur mâchoire est très robuste. La dentition de ces deux groupes est différente, faite pour broyer chez les Machimosaurini mais plus généraliste chez les geosaurinés du clade T. Foffa et ses collègues supposent que ces deux groupes étaient des carnivores durophages se nourrissant de tortues, de vertébrés à os épais et d’invertébrés à coquilles. Toutefois, ce régime était exclusif chez les Machimosaurini alors que les geosaurinés du clade T pouvaient avoir un régime alimentaire plus généraliste.

Enfin, les plesiosauroidés possèdent une morphologie très distincte puisque bien que leurs dents soient adaptées à percer, leurs mâchoires sont courtes avec une morsure assez lente. Foffa et ses collègues supposent que cette anatomie est compatible avec une chasse en embuscade ou de tamisage du fond marin. D’après leurs dents, les plesiosauroidés se seraient nourris de proies molles comme de petits poissons ou des céphalopodes. A noter que les dents nombreuses et crochues de Kimmerosaurus peuvent indiquer que ce taxon s’alimentait par filtration.

Référence : Foffa, D.; Young, M.T.; Brusatte, S.L., 2024, Comparative functional morphology indicates niche partitioning among sympatric marine reptiles. Royal Society Open Science. 11: 231951.
Toutes les images proviennent de Foffa et al., 2024