Révision de l’intelligence des dinosaures

En 2023, Herculano-Houzel publiait un article traitant d’une nouvelle méthode de calcul de l’intelligence des dinosaures se basant sur le nombre de neurones du télencéphale (voir cet article). Sa conclusion était notamment que la plupart des dinosaures étaient à sang froid (ectothermes) et que les grands théropodes ont pu avoir des fonctions cognitives comparables à celles des babouins actuels. Cette publication a fait l’objet d’une forte médiatisation mais aussi de nombreuses controverses dans le monde scientifique. Caspar et ses collègues effectuent ainsi une révision du travail d’Herculano-Houzel, qui invalide ses conclusions.

Schéma modélisant les principaux résultats d’Herculano-Houzel (2023) ; on note que le nombre le plus élevé de neurones chez les dinosaures se retrouve chez les grands théropodes (Allosaurus, Tyrannosaurus)

Caspar et ses collègues passent tout d’abord en revue plusieurs points incorrects de l’article d’Herculano-Houzel. Ils notent tout d’abord qu’Herculano-Houzel a utilisé des données paléoneurologiques erronées car elle considérait que l’endocaste des dinosaures et des ptérosaures correspondait à la morphologie exacte de leur cerveau. Caspar et ses collègues notent que ce point n’est valide que pour les théropodes maniraptoriformes et que pour les autres groupes, le cerveau ne correspond qu’à 31 à 42 % de l’endocaste total. De plus, ce pourcentage est susceptible de varier au cours de l’ontogenèse.

Scan CT (a) et photographie (b) de l’endocaste d’un alligator d’Amérique actuel (Alligator mississippiensis), en comparaison avec une photographie de son cerveau (c) ; on note que l’endocaste ne reflète que partiellement la morphologie cérébrale, et que le cerveau ne correspond qu’à un certain pourcentage du volume de l’endocaste total

Caspar et ses collègues notent des erreurs dans les calculs de la masse du télencéphale des théropodes. En effet, Herculano-Houzel a basé ses calculs en supposant une morphologie cérébrale avienne pour tous les théropodes. Seuls les théropodes maniraptoriformes ont une morphologie cérébrale avienne, ce qui rend les calculs erronés pour les autres théropodes comme Tyrannosaurus. Ces calculs sont parfois biaisés par le manque d’uniformité des données, certaines incluant les organes olfactifs et d’autres non.

Arbre phylogénétique de Sauria, montrant que seul le cerveau des théropodes maniraptoriformes possède une morphologie cérébrale avienne

Pour Caspar et ses collègues, l’analyse d’Herculano-Houzel manque d’une prise en compte de la phylogénie dans l’analyse et la contextualisation des données. De plus, ils notent l’absence d’une corrélation entre la densité neuronale et la taille relative du cerveau ou le taux métabolique. Ainsi, la forte densité neuronale des oiseaux actuels n’est pas un témoin de leur endothermie ou de la grande taille relative de leur cerveau. En prenant en compte ces points, Caspar et ses collègues ont cherché à reproduire l’expérience d’Herculano-Houzel de manière corrigée.

Arbre phylogénétique de Sauria, montrant le mode de thermorégulation des différents clades (ectotherme en vert et endotherme en rouge/orange) selon deux hypothèses présentées par Herculano-Houzel (2023) : la première est qu’au sein d’Avemetatarsalia, seuls les ornithischiens sont ectothermes et la seconde, basée sur ses résultats, est que seule une partie des ptérosaures, des sauropodes et des ornithischiens sont endothermes ; Caspar et ses collègues contredisent ces deux hypothèses et déclarent que l’endothermie est une synapomorphie d’Ornithodira

Caspar et ses collègues ont analysé un échantillon n’incluant pas les ptérosaures, de par les nombreuses incertitudes actuelles sur leur paléoneurologie et leur masse corporelle. Ils ont uniquement étudié les dinosaures dont la masse pouvait être calculée sur la base de leur circonférence stylopodiale (humérus ou fémur). Elle exclut donc Conchoraptor, Tsaagan, Zanabazar et IGM 100/1126 qui avaient été analysés par Herculano-Houzel. Caspar et ses collègues ont également exclu les taxons analysés Herculano-Houzel dont les données sont basées sur des spécimens juvéniles (Alioramus et Gorgosaurus). Ils ont toutefois ajouté plusieurs taxons qu’Herculano-Houzel n’avait pas étudié.

Photographies de l’endocaste naturel du spécimen UUVP 294 d’Allosaurus fragilis

Pour Herculano-Houzel, le nombre de neurones des dinosaures était calculable selon sa thermobiologie (ectotherme ou endotherme). Toutefois, ayant corrélé la thermobiologie avec la taille relative du cerveau, Herculano-Houzel a supposé une thermobiologie très différente du consensus actuel sur les dinosaures, avec des petits théropodes comme Shuvuuia supposés ectothermes. Caspar et ses collègues n’ont quant à eux pas retrouvé une telle corrélation, et indiquent que tous les dinosaures sont supposés endothermes car il s’agit d’une synapomorphie des Ornithodira.

Graphique montrant la relation entre masse cérébrale et masse corporelle chez les sauropsides ; on note que seuls les théropodes maniraptoriformes ont des valeurs similaires à celles des oiseaux, contrairement à Herculano-Houzel (2023) qui trouvait que certains dinosaures (grands théropodes et ornithopodes notamment) avaient des valeurs similaires à celles des oiseaux, l’amenant à reconsidérer la thermobiologie des dinosaures

En supposant une thermobiologie endothermes pour tous les dinosaures, les résultats de Caspar et ses collègues diffèrent beaucoup au niveau des dinosaures considérés comme ectothermes par Herculano-Houzel. Cela concerne notamment les sauropodes, les cératopsiens, les ankylosaures, les stégosaures ainsi que le théropode Shuvuuia. En revanche, leurs résultats sont très similaires pour les théropodes maniraptoriformes, à l’exception d’Ornithomimus. Enfin, Caspar et ses collègues ayant recalculé la masse du télencéphale pour les théropodes non-maniraptoriformes, leurs résultats pour ces dinosaures divergent beaucoup avec Herculano-Houzel.

Photographies de l’endocaste partiel du spécimen NMC 12228 d’Ornithomimus edmontonicus

Les résultats de Caspar et ses collègues sont en grande contradiction avec ceux d’Herculano-Houzel. En effet, ils constatent que les grands théropodes tels que Tyrannosaurus, Allosaurus ou Acrocanthosaurus ne possèdent pas un nombre très important de neurones télencéphaliques par rapport à leur taille. Le maximum calculé pour Tyrannosaurus est de 1,5 milliards contre 3 milliards par Herculano-Houzel par exemple. Cela le rend beaucoup plus comparable avec Ornithomimus qui possède seulement 690 millions de neurones télencéphaliques mais de masse 10 fois inférieure.

Tableau présentant le nombre de neurones télencéphaliques des théropodes étudiés par Caspar et ses collègues, avec les valeurs comparées à celles d’Herculano-Houzel (2023) (à droite, notées HH) ; on note que bien qu’Herculano-Houzel ait parfois pris en compte le nombre de neurones selon un cerveau non-avien (par exemple pour Shuvuuia), Caspar et ses collègues supposent un cerveau avien pour tous les théropodes

Pour Caspar et ses collègues méthode de calcul du nombre de neurones sur la base de la masse du télencéphale est fragile, car il n’est pas certain que ses résultats soient fiables pour les dinosaures. Herculano-Houzel a également traité de la longévité des dinosaures sur la base du nombre de leurs neurones télencéphaliques. Les résultats obtenus sont très éloignés de ceux obtenus par ostéohistologie, et contredisent de nombreux consensus actuels. Caspar et ses collègues réfutent ainsi toute corrélation entre longévité et nombre de neurones.

Tableau présentant le nombre de neurones télencéphaliques des dinosaures non-théropodes étudiés par Caspar et ses collègues, avec les valeurs comparées à celles d’Herculano-Houzel (2023) (à droite, notées HH)

Caspar et ses collègues remettent en question les fondements de l’étude d’Herculano-Houzel car selon eux, le nombre de neurones télencéphaliques n’est pas un indicateur de capacités cognitives. Des poissons téléostéens ou les girafes actuels ont une grande quantité de neurones télencéphaliques, sans pour autant présenter des capacités cognitives accrues. Ils en concluent donc qu’il est impossible d’affirmer que des dinosaures ont pu avoir des facultés cognitives similaires à celles des grands singes sur la seule base de ces résultats.

Tableau présentant le nombre de neurones télencéphaliques des dinosaures étudiés par Caspar et ses collègues mais pas par Herculano-Houzel (2023)

Ainsi, Caspar et ses collègues ont reproduit les expériences d’Herculano-Houzel, avec plusieurs différences de résultats. Ils notent que le calcul du nombre de neurones des dinosaures présente des résultats fragiles et que ses applications sont limitées car il est impossible de s’en servir pour déduire la thermobiologie, la longévité ou encore la présence ou non de grandes facultés cognitives. Caspar et ses collègues notent toutefois une forte densité neuronale chez les dinosaures étudiés ainsi que chez les oiseaux actuels, ce qui pourrait être une nouvelle synapomorphie des dinosaures.

Références : Caspar, K.R.; Gutiérrez-Ibañez, C.; Bertrand, O.C.; Carr, T.; Colbourne, J.A.D.; Erb, A.; George, H.; Holtz, T.R.; Naish, D.; Wylie, D.R.; Hurlburt, G.R., 2024, How smart was T. rex? Testing claims of exceptional cognition in dinosaurs and the application of neuron count estimates in palaeontological research. The Anatomical Record.

Herculano-Houzel, S., 2023, Theropod dinosaurs had primate-like numbers of telencephalic neurons. Journal of Comparative Neurology.

Toutes les images proviennent de Caspar et al., 2024, à l’exception de la première et de la quatrième qui proviennent d’Herculano-Houzel, 2023

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