Les dinosaures sont un groupe d’archosaures très diversifié, avec une grande multitude d’écologies alimentaires. Les ornithischiens, la plupart des sauropodomorphes, les noasauridés Limusaurus et Berthasaura, les thérizinosaures, les ornithomimosaures et les oviraptorosaures sont des dinosaures végétivores. Chez les théropodes, le régime alimentaire végétivore a rapidement été développé grâce à une série d’adaptations crâniennes. Kunz et Sakamoto étudient ainsi l’évolution de la morphologie des mâchoires des dinosaures, afin d’analyser les changements dus au passage à un régime alimentaire végétivore.

Kunz et Sakamoto analysent l’efficacité de la morsure comme paramètre d’évolution de la morphologie des mâchoires. En effet, les dinosaures végétivores tendent à avoir une mâchoire plus courte que les carnivores, afin de couper et/ou broyer efficacement les végétaux. Kunz et Sakamoto utilisent donc la relation entre la longueur de la partie mordante de la mâchoire et la distance entre la position de morsure la plus postérieure et l’articulation de la mâchoire, le tout mis à l’échelle par rapport à la taille du crâne. Plus ce rapport calculé est faible et plus la morsure est efficace pour un régime alimentaire végétivore.

Les résultats de ces calculs ont ensuite été placés dans une analyse phylogénétique, afin de visualiser l’évolution de l’efficacité de la morsure pour un régime alimentaire végétivore au sein des dinosaures. Kunz et Sakamoto constatent que le sauropode Diplodocus, les cératopsiens chasmosaurinés, les oviraptorosaures et le noasauridé Limusaurus présentent des taux d’évolution très élevés vers une morsure efficace pour un régime alimentaire végétivore. A noter que Berthasaura n’a pas été inclus dans l’analyse mais que sa morphologie est très proche de celle de Limusaurus.

Les chasmosaurinés sont des ceratopsidés végétivores typiques, mais leur mâchoire est plus courte que les centrosaurinés. Il a déjà été suggéré que les chasmosaurinés se nourrissaient de végétaux moins robustes que les centrosaurinés, c’est-à-dire de plus d’angiospermes que de gymnospermes. La mâchoire plus courte des chasmosaurinés a donc pu se développer en réponse à cette spécialisation alimentaire, permettant une partition de niche avec les centrosaurinés qui se nourrissaient plus de gymnospermes.

Les diplodocidés (représentés par Diplodocus dans l’analyse de Kunz et Sakamoto) sont des sauropodes qui se caractérisent par la présence de dents uniquement à l’extrémité antérieure des mâchoires. De plus, leurs dents ont une forme de crayon et jouaient un rôle de râteau pour effeuiller les branches. Cette spécialisation rendait très courte la partie mordante de leur mâchoire, comme mis en évidence par Kunz et Sakamoto. Cela contraste avec les autres sauropodes qui vivaient avec les diplodocidés, dont les rangées de dents étaient beaucoup plus longues. Les adaptations crâniennes des diplodocidés leur ont donc permis d’occuper une niche écologique distincte des autres sauropodes de leurs environnements.

Les oviraptorosaures présentent une mâchoire courte et édentée, avec un bec de kératine tranchant. Ces adaptations suggèrent une écologie alimentaire végétivore, comme cela a déjà été suggéré par des études précédentes. Kunz et Sakamoto notent que chez les oviraptorosaures, l’évolution rapide d’une mâchoire courte pour se nourrir de végétaux a pu se développer suite à des pressions environnementales. De plus, la grande diversité d’oviraptorosaures dans un même écosystème laisse penser que leurs adaptations permettaient une bonne partition de niche entre les taxons et une bonne adaptation à leur environnement.

Limusaurus est un théropode noasauridé qui présente la particularité de changer de régime alimentaire au cours de son ontogenèse. Les juvéniles ont des mâchoires garnies de dents et se nourrissent d’invertébrés. Les adultes sont édentés et présentent une mâchoire plus courte avec un bec de kératine. Ces caractéristiques sont similaires à celles de Berthasaura et des oviraptorosaures. Le raccourcissement de la mâchoire de Limusaurus est une adaptation liée à son changement de régime alimentaire, et témoigne de la plasticité de l’évolution des théropodes.

Référence : Kunz, C.; Sakamoto, M., 2024, Elevated evolutionary rates of biting biomechanics reveal patterns of extraordinary craniodental adaptations in some herbivorous dinosaurs. Palaeontology. 67(1): e12689.
Toutes les images proviennent de Kunz et Sakamoto, 2024, à l’exception de la première, de la quatrième et de la sixième qui sont des œuvres de Scott Hartman, de la cinquième qui est une œuvre de Jaime A. Headden et de la dernière qui est une œuvre de Dan Folkes