Nouveau squamate : Limnoscansor

En 1914, Grier décrivit une nouvelle espèce du sphénodontien Homoeosaurus, qu’il baptisa H. digitatellus en référence à la construction fragile de ses doigts. Son holotype est un squelette presque complet (CM 4026) découvert dans le Tithonien de la formation géologique de Solnhofen (Bayern, Allemagne). En 1925, Broili attribua CM 4026 à Homoeosaurus brevipes, synonymisant ainsi H. digitatellus à H. brevipes. Broili référa également un autre squelette presque complet (SNSB-BSPG 1923 I 501) à H. digitatellus, en provenance lui aussi de la formation géologique de Solnhofen.

Photographies de l’holotype (CM 4026) de Limnoscansor digitatellus

En 1938, Broili créa une nouvelle espèce d’Ardeosaurus, qu’il baptisa A. schroederi. Il basa cette espèce sur un squelette quasi-complet (SNSB-BSPG 1937 I 1) de la formation géologique de Solnhofen. De plus, Broili référa à A. schroederi le spécimen SNSB-BSPG 1923 I 501 qu’il avait référé à H. brevipes en 1925. En 1953, Hoffstetter donna son propre genre à « A ». schroederi : Broilisaurus, créant la combinaison B. schroederi. Il s’avéra ensuite que le nom de Broilisaurus avait déjà été donné à un temnospondyle. Le nom de Broilisaurus schroederi étant invalide, Kuhn créa en 1958 le genre de remplacement Eichstaettisaurus, avec E. schroederi comme nouvelle combinaison.

Photographie du spécimen SNSB-BSPG 1937 I 1, holotype d’Eichstaettisaurus schroederi, provenant de Cocude-Michel (1963)

En 1963, Cocude-Michel attribua le spécimen CM 4026 (l’holotype d’Homoeosaurus digitatellus) à E. schroederi. Du fait de cette attribution, le nom d’espèce digitatellus prenait la priorité sur schroederi, créant la combinaison Eichstaettisaurus digitatellus. En 1964, Hoffstetter déclara que CM 4026 n’était pas attribuable au genre Eichstaettisaurus, et que la synonymie proposée par Cocude-Michel était un non-sens. Hoffstetter assigna CM 4026 à sa propre espèce au sein du genre Ardeosaurus : A. digitatellus. Bien que la même année Cocude-Michel réitéra sa proposition de synonymie, les études suivantes gardèrent la taxonomie d’Hoffstetter.

Photographie de l’holotype (CM 4026) de Limnoscansor digitatellus, provenant de Cocude-Michel (1963)

En 1983, Estes déclara que le spécimen SNSB-BSPG 1923 I 501 n’était pas attribuable à Eichstaettisaurus schroederi. Estes le référa plutôt à Ardeosaurus cf. digitatellus. Il en résulte que E. schroederi est seulement connu de son holotype (SNSB-BSPG 1937 I 1). En 2016, Simões et ses collègues décrivirent en détail Ardeosaurus digitatellus, sans mentionner le spécimen référé SNSB-BSPG 1923 I 501. En 2018, Conrad déclara que SNSB-BSPG 1923 I 501 représente en réalité un spécimen d’Ardeosaurus brevipes, et qu’A. digitatellus devrait être placé dans son propre genre. Meyer et ses collègues créent ainsi le genre Limnoscansor (« grimpeur des marais »), avec la nouvelle combinaison L. digitatellus.

Photographie du spécimen SNSB-BSPG 1923 I 501, désormais référé à Ardeosaurus brevipes, provenant de Cocude-Michel (1963)

L’holotype (CM 4026) de Limnoscansor digitatellus est squelette presque complet auquel il ne manque que le museau et la quasi-totalité de la queue. Il est préservé en vue dorsale, mais est assez mal conservé, ce qui obscurcit plusieurs détails anatomiques. Selon Meyer et ses collègues, CM 4026 est un individu subadulte ou adulte. Il s’agit du seul spécimen actuellement attribuable à L. digitatellus, Meyer et ses collègues ayant validé l’attribution de SNSB-BSPG 1923 I 501 à Ardeosaurus brevipes faite par Conrad (2018).

Reconstitution squelettique et du crâne de Limnoscansor, avec en blanc les os connus de l’holotype

L’analyse phylogénétique de Meyer et ses collègues a classé Limnoscansor comme un membre basal d’Ardeosauridae, en taxon-soeur du clade formé par Ardeosaurus et Helioscopos. Les ardeosauridés y sont classés comme une famille de Pan-Gekkota, proches de Gekkota. Le terme Pan-Gekkota est un nom équivalent au nom de Gekkonomorpha plus fréquemment employé. Limnoscansor est ainsi l’un des plus vieux représentants connus de la lignée menant aux geckos.

Résultats de l’analyse phylogénétique de Meyer et ses collègues, classant Limnoscansor comme un ardeosauridé basal

Meyer et ses collègues n’ont pas procédé à une description détaillée de Limnoscansor, car les études de Simões et al. (2016) et Conrad (2018) avaient déjà effectué une description (sous le nom d' »A« . digitatellus). Ces études ont identifié plusieurs caractéristiques faisant de Limnoscansor un squamate spécialisé pour grimper. Il présente des membres courts, ce qui aurait favorisé son déplacement sur des plans inclinés. Ses pieds présentent une symétrie radiaire et ses griffes sont élargies à leur base, ce qui aurait permis à Limnoscansor de bien s’agripper aux surfaces.

Photographies de l’holotype (CM 4026) de Limnoscansor digitatellus, montrant les détails de son pied gauche

La dentition de Limnoscansor est inconnue, mais sur la base des autres ardeosauridés, c’était probablement un invertivore se nourrissant de proies molles. Grâce à ses capacités de grimpe, il était sûrement spécialisé pour la chasse dans les arbres. C’était un squamate d’assez petite taille, mesurant environ 15 centimètres de longueur. Limnoscansor vivait dans des forêts insulaires au climat tropical, en compagnie d’autres squamates, de tortues, de rhynchocéphales, de crocodylomorphes, de ptérosaures et de petits théropodes comme Compsognathus ou Archaeopteryx.

Références : Meyer, D.; Brownstein, C.D.; Jenkins, K.M.; Gauthier, J.A., 2023, A Morrison stem gekkotan reveals gecko evolution and Jurassic biogeography. Proceedings of the Royal Society B. 290: 20232284.

Grier, N., 1914, A new rhynchocephalian from the Jura of Solenhofen. Annals of Carnegie Museum. 9: 86-91.

Broili, F., 1925, Beobachtungen an der Gattung Homoeosaurus H. v. Meyer. Sitzungsberichte der Mathematisch-Naturwissenschaftlichen Abteilung der Bayerischen Akademie der Wissenschaften zu München. 1925: 81-121.

Broili, F., 1938, Ein neuer fund von ?Ardeosaurus H. von Meyer. Sitzungsberichte der Mathematisch-Naturwissenschaftlichen Abteilung der Bayerischen Akademie der Wissenschaften zu München. 1938: 97–114.

Hoffstetter, R., 1953, Les sauriens anté-cretacées. Bulletin du Museum National d’Histoire Naturelle. 25: 345–352.

Kuhn, O., 1958, Ein neuer lacertilier aus dem fränkischen Lithographie−schiefer. Neues Jahrbuch für Geologie und Paläontologie, Monatshefte. 1958: 437–440.

Cocude-Michel, M., 1963, Les rhynchocéphales et les sauriens des calcaires lithographiques (Jurassique supérieur) d’Europe occidentale. Nouvelles archives du Muséum d’histoire naturelle de Lyon. 7: 3-224.

Hoffstetter, R., 1964, Les Sauria du Jurassique supérieur et specialement les Gekkota Bavière et de Mandchourie. Senckenbergiana Biologie. 45: 281–324.

Cocude-Michel, M., 1964, Etude d’Eichstaettisaurus digitatellus (= Homoeosaurus digitatellus Grier 1914); saurien du Portlandien inferieur de Solnhofen. Bulletin de La Société Géologique de France. S7-VI(5): 704–706.

Estes, R., 1983, Sauria terrestria, Amphisbaenia. New York: Gustav Fischer Verlag.

Simões, T.R.; Caldwell, M.W.; Nydam, R.L.; Jiménez-Huidobro, P., 2016, Osteology, phylogeny, and functional morphology of two Jurassic lizard species and the early evolution of scansoriality in geckoes. Zoological Journal of the Linnean Society. 180: 216-241.

Conrad, J.L., 2018, A new lizard (Squamata) was the last meal of Compsognathus (Theropoda: Dinosauria) and is a holotype in a holotype. Zoological Journal of the Linnean Society. 183: 584-634.

Toutes les images proviennent de Meyer et al., 2023 à l’exception de la deuxième, de la troisième et de la quatrième qui proviennent de Cocude-Michel, 1963, de la cinquième qui provient de Conrad, 2018 et de la dernière qui provient de Simões et al., 2018

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