Evolution de l’écologie alimentaire des ornithopodes

Il a depuis longtemps été suggéré que l’apparition des angiospermes (les plantes à fleurs) avait influencé l’évolution des dinosaures. Les angiospermes sont apparus au crétacé inférieur, et se sont développés au crétacé supérieur. Dans un même temps, les dinosaures ornithopodes ont développé des spécialisations au niveau du traitement de la nourriture. Cette hypothèse d’influence des angiospermes semble solide mais manquait jusque là de preuves fossiles tangibles. Kubo et ses collègues analysent ainsi la micro-usure dentaire des ornithopodes, afin de déterminer si ceux-ci ont consommé plus d’angiospermes, au cours de leur évolution.

Reconstitution squelettique de l’ornithopode hadrosauridé Parasaurolophus, par Scott Hartman

La micro-usure dentaire est une usure qui résulte notamment de l’abrasion entre la dent et les aliments. Son étude donne donc des informations précieuses sur l’alimentation du propriétaire des dents, et peut permettre de prédire la proportion de nourriture abrasive pour les dents dans son alimentation. Kubo et ses collègues ont analysé la micro-usure dentaire de 12 taxons d’ornithopodes provenant d’époques et de continents différents. Le genre Dysalotosaurus du jurassique supérieur, Lanzhousaurus, Jinzhousaurus, Probactrosaurus et Equijubus du crétacé inférieur, Thescelosaurus, Edmontosaurus, Hypacrosaurus, Gryposaurus, Prosaurolophus, Parasaurolophus et Corythosaurus ont été analysés.

Vues tridimensionnelles de la micro-usure dentaire des dents des ornithopodes étudiés par Kubo et ses collègues

Les angiospermes sont parmi les plantes les plus riches en phytolithes, bien plus que les gymnospermes ou les fougères. Les phytolithes sont des concrétions de silices formées par précipitation au sein de la plante. Ce sont donc des particules particulièrement solides qui laissent des traces sur les dents, participant ainsi à leur micro-usure. L’abondance des phytolithes chez les angiospermes influence donc l’impact de ces plantes sur la micro-usure dentaire de leurs consommateurs par rapport aux autres plantes. Il en résulte que les dinosaures consommant des angiospermes auront une micro-usure dentaire plus marquée.

Les phytolithes sont des particules de silice qui peuvent prendre une grande variété de formes (représentées à gauche), permettent d’identifier une plante à elles seules et sont susceptibles de se fossiliser (à droite, des phytolithes découverts dans le contenu stomacal d’un oiseau fossile du crétacé inférieur baptisé Jeholornis, voir cet article)

Kubo et ses collègues ont récolté les donnés de micro-usure dentaire des ornithopodes qu’ils ont étudiés, afin de les traiter dans une analyse morphométrique. Cette analyse permet de quantifier le degré de micro-usure dentaire selon les genres. Kubo et ses collègues constatent que la micro-usure dentaire des ornithopodes du crétacé supérieur ont une micro-usure dentaire généralement plus forte que celle des ornithopodes des périodes précédentes. Sur la base de ces résultats, ils confirment l’hypothèse que les ornithopodes ont consommé de plus en plus d’angiospermes au cours de leur évolution, à mesure que ce groupe de plantes se diversifiait lui aussi.

Résultats de l’analyse morphométrique de Kubo et ses collègues, montrant que les ornithopodes du crétacé supérieur ont une micro-usure dentaire généralement plus forte que celle des ornithopodes des périodes précédentes ; il s’en déduit que les ornithopodes ont consommé de plus en plus d’angiospermes au cours de leur évolution

Kubo et ses collègues ont observé des exceptions à ces tendances générales, qui témoignent de spécialisations alimentaires. Par exemple, l’hadrosauridé Gryposaurus ne présente pas une micro-usure dentaire marquée comme l’on pourrait s’y attendre. Au contraire, celle-ci est faible et témoigne d’un régime alimentaire à base de plantes plus pauvres en phytolithes comme les gymnospermes ou les fougères. Ainsi, Kubo et ses collègues notent la présence d’une tendance générale des ornithopodes à consommer plus de plantes à fleurs, avec la présence de taxons spécialisés dans une écologie alimentaire différente.

Reconstitution squelettique de l’ornithopode hadrosauridé Gryposaurus, par Scott Hartman

Référence : Kubo, T.; Kubo, M.O.; Sakamoto, M.; Winkler, D.E.; Shibata, M.; Zheng, W.; Jin, X.; You, H.-L., 2023, Dental microwear texture analysis reveals a likely dietary shift within Late Cretaceous ornithopod dinosaurs. Palaeontology. 66(6): e12681.

International Committee for Phytolith Taxonomy (ICPT), 2019, International code for phytolith nomenclature (ICPN) 2.0. Annals of Botany. 124(2): 189-199.

Wu, Y.; Ge, Y.; Hu, H.; Stidham, T.; Li, Z.; Bailleul, A.; Zhou, Z., 2023, Intra-stomachal Magnoliales phytoliths provide definitive evidence for folivory in basal avialans of the Early Cretaceous Jehol Biota. ResearchSquare.

Toutes les images proviennent de Kubo et al., 2023 à l’exception de la première et de la dernière qui sont des œuvres de Scott Hartman, et de la troisième qui se compose d’une figure de l’International Committee for Phytolith Taxonomy, 2019 et d’une figure de Wu et al., 2023

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