Ecologie alimentaire d’Euoplocephalus et de Panoplosaurus

Euoplocephalus est un genre d’ankylosaure ankylosauridé tandis que Panoplosaurus est un ankylosaure nodosauridé, tous deux connus du Campanien de la formation géologique de Dinosaur Park (Alberta, Canada). Les ankylosaures sont un groupe de dinosaures bien connu, mais plusieurs aspects de leur paléoécologie sont encore flous. L’une des grandes lacunes dans l’étude de ce groupe est l’absence d’études biomécaniques sur leur morsure. Ballell et ses collègues analysent ainsi la biomécanique des crânes des ankylosaures Euoplocephalus et Panoplosaurus, permettant ainsi de mieux connaître leur écologie alimentaire.

Modélisation 3D du crâne du spécimen ROM 1215 de Panoplosaurus mirus (a) et du spécimen AMNH 5405 d’Euoplocephalus tutus (b)

Ballell et ses collègues ont réalisé un scan CT du crâne du spécimen AMNH 5405 d’Euoplocephalus tutus et du spécimen ROM 1215 de Panoplosaurus mirus. Sur la base de ces scans, ils ont modélisé ces deux crânes en 3D. Sur ces modèles 3D, Ballell et ses collègues ont pu reconstruire la musculature des mâchoires d’Euoplocephalus et Panoplosaurus. Grâce à ces modèles, ils ont ensuite pu analyser la force de morsure et la résistance biomécanique de ces crânes.

Reconstitution de la musculature des mâchoires de Panoplosaurus (a-d) et d’Euoplocephalus (e-h)

Ballell et ses collègues ont estimé que Panoplosaurus présente une force de morsure qui varie entre 141 et 294 N selon la localisation de la morsure sur les mâchoires. Pour Euoplocephalus, ces valeurs sont comprises entre 166 et 444 N. Bien que la morsure de Panoplosaurus soit plus faible que celle d’Euoplocephalus, celui-ci est plus petit que ce dernier. Lorsque les forces de morsure sont mises à l’échelle, Panoplosaurus présente une plus grande force de morsure par rapport à Euoplocephalus. La force de morsure de ces deux ankylosaures est proche de celle de Stegosaurus, mais plus faible que celle des cératopsiens ou des ornithopodes.

Graphique comparant la force de morsure (selon la localisation de la morsure dans la mâchoire) d’Euoplocephalus et de Panoplosaurus, avec la force de morsure de Panoplosaurus mise à l’échelle d’un individu de la même taille qu’Euoplocephalus pour comparer les forces de morsure relatives

Ballell et ses collègues ont soumis les modèles 3D des crânes d’Euoplocephalus et de Panoplosaurus à la méthode d’analyse des contraintes de von Mises. L’application des contraintes de von Mises permet de connaître la résistance d’un objet lors d’une action, ainsi que son comportement biomécanique. Cette méthode permet de connaître les actions optimales au niveau biomécanique, indiquant quels mouvements Euoplocephalus et Panoplosaurus étaient susceptibles de faire ou de ne pas faire. Ballell et ses collègues ont utilisé les contrainte de von Mises dans les cas d’une morsure du bout de la mâchoire, d’une morsure antérieure et d’une morsure postérieure.

Résultats des analyses des contraintes de Von Mises pour une morsure du bout de la mâchoire (b), une morsure antérieure (d) et une morsure postérieure (f) d’Euoplocephalus

Les résultats de l’analyses des contraintes de von Mises indiquent que les crânes d’Euoplocephalus et de Panoplosaurus ont une biomécanique très proche. Les zones de stress sont presque identiques pour ces deux genres. Ballell et ses collègues notent que Panoplosaurus possède un crâne plus résistant car ses vomers sont fusionnés, ce qui augmentait la résistance de son palais. De plus, son processus coronoïde est plus développé, ce qui lui aurait permis d’avoir une réduction de stress dans cette zone, mais aussi une plus grande force de morsure relative par rapport à Euoplocephalus.

Résultats des analyses des contraintes de Von Mises pour une morsure du bout de la mâchoire (a), une morsure antérieure (c) et une morsure postérieure (e) de Panoplosaurus

Les ankylosaures sont un groupe de dinosaures présentant un palais secondaire, une structure impliquée dans le renforcement du crâne contre le stress biomécanique des morsures mais aussi dans la résistance à la flexion du museau. Des études précédentes ont suggéré un rôle identique pour le palais secondaire des ankylosaures. Toutefois, le palais des ankylosaures permet également de cloisonner leur système de ventilation crânienne. Aucun avantage n’est donné par la présence du palais secondaire dans les analyses des contraintes de von Mises réalisées par Ballell et ses collègues. Ils en déduisent donc que le palais secondaire des ankylosaures n’avait pas de rôle d’avantage biomécanique.

Graphique montrant les valeurs des contraintes de von Mises pour Panoplosaurus et Euoplocephalus, en prenant ou non en compte la présence du palais secondaire ; les résultats étant quasiment identiques, Ballell et ses collègues en concluent que le palais secondaire des ankylosaures ne confère pas d’avantage biomécanique

En confrontant leurs résultats à la phylogénie des ankylosaures, Ballell et ses collègues ont constaté que les nodosauridés dérivés et les ankylosauridés ont développé des modes d’alimentation spécialisés. Les ankylosaures basaux se nourrissaient par un simple mouvement de mâchoire pour attraper et cisailler les végétaux. Les formes dérivées des nodosauridés et des ankylosauridés ont développé un mode d’alimentation plus efficace. Cela implique une meilleure occlusion dentaire et un effet de levier de la mâchoire qui a amélioré la force de morsure. Toutefois, l’optimisation de l’effet de levier des mâchoires ne s’observe que chez les nodosauridés, alors qu’il s’est diminué chez les ankylosauridés.

Arbre phylogénétique des ankylosaures, montrant que les ankylosauridés dérivés ont perdu de l’efficacité de morsure alors que les nodosauridés dérivés en ont gagné par rapport à l’état ancestral qui s’observe chez les formes basales de chaque groupe

La force de morsure relative et la résistance biomécanique du crâne de Panoplosaurus étaient plus élevés que chez Euoplocephalus. Ballell et ses collègues considèrent que les résultats pour Panoplosaurus sont généralisables aux nodosauridés dérivés et ceux d’Euoplocephalus sont généralisables aux ankylosauridés dérivés. La morsure plus puissante des nodosauridés indique qu’ils avaient un régime alimentaire composé de végétaux plus durs que les ankylosauridés. Cette différence aurait permis une partition de niche entre plusieurs ankylosaures dans un même environnement. Ballell et ses collègues notent toutefois que les ankylosaures se sont nourri de végétaux bien plus mous que les cératopsiens et les ornithopodes.

Reconstitution squelettique de l’ankylosauridé Euoplocephalus, par Scott Hartman

Référence : Ballell, A.; Mai, B.; Benton, M.J., 2023, Divergent strategies in cranial biomechanics and feeding ecology of the ankylosaurian dinosaurs. Science Reports. 13: 18242.

Toutes les images proviennent de Ballell et al., 2023 à l’exception de la dernière qui est une œuvre de Scott Hartman

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