Les thalattosaures sont un groupe de sauropsides marins au classement encore flou, peut-être lié aux ichthyosauromorphes et/ou aux sauropterygiens. Ils se retrouvent dans le trias moyen à supérieur d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Asie. Selon leur classification actuelle, les thalattosaures se divisent en deux groupes : Askeptosauroidea et Thalattosauroidea. Les thalattosaures vivaient majoritairement dans des bassins d’eaux peu profondes sur la plateforme continentale, mais parfois près de la haute mer. Lors de la redescription de Wayaosaurus bellus (voir cet article), Chai et ses collègues ont cherché à mesurer la diversité évolutive des thalattosaures.

Chai et ses collègues ont effectué des mesures sur 13 espèces de thalattosaures, qu’ils ont comparé à 10 espèces d’ichthyosauromorphes et à 28 espèces de sauropterygiens. Ils ont analysé les askeptosauroidés Miodentosaurus brevis, Wayaosaurus bellus, Anshunsaurus wushaensis, Anshunsaurus huangguoshuensis, Askeptosaurus italicus et Endennasaurus acutirostris, ainsi que les thalattosauroidés Clarazia schinzi, Xinpusaurus xingyiensis, Xinpusaurus kohi, Xinpusaurus suni, Concavispina biseridens et Gunakadeit joseeae.

Chai et ses collègues ont réalisé une analyse morphométrique pour comparer la morphologie des rostres des thalattosaures. Ils ont identifié la présence de 4 morphotypes, témoignant de la grande diversité morphologique des rostres chez les thalattosaures. Le morphotype 1 correspond à un rostre droit et allongé, qui se retrouve chez Gunakadeit, Anshunsaurus et Askeptosaurus. Miodentosaurus est proche de ce morphotype, mais présente un rostre plus court. Le morphotype 1 semble correspondre à la morphologie ancestrale du rostre des thalattosaures. Il se retrouve chez de nombreux genres d’ichthyosauriformes basaux. Chai et ses collègues interprètent le morphotype 1 comme étant spécialisé pour capturer des poissons et des ammonites.

Le morphotype 2 correspond à un rostre modérément allongé avec son extrémité légèrement recourbée et plus fine, qui se retrouve chez Clarazia, Concavispina et Thalattosaurus. Ce morphotype est unique au sein de l’échantillon analysé par Chai et ses collègues. Une étude plus large permettrait de découvrir des groupes ou des taxons convergents avec ce morphotype. Pour l’instant, ce morphotype 2 présente une spécialisation écologique encore inconnue.

Le morphotype 3 identifié par Chai et ses collègues correspond à un rostre allongé avec son extrémité légèrement recourbée et plus fine, qui se retrouve chez Xinpusaurus. Ce morphotype est intermédiaire entre le morphotype 1 et le morphotype 2. Il semble donc représenter une spécialisation pour une niche écologique intermédiaire entre ces deux morphotypes. L’écologie alimentaire correspondant au morphotype 3 demeure elle aussi spéculative.

Le morphotype 4 correspond à un rostre court et robuste avec son extrémité fortement recourbée, qui se retrouve chez Hescheleria et Nectosaurus. Ce morphotype est lui aussi unique, et très différent de la morphologie du rostre des autres thalattosaures ainsi que du rostre des ichthyosauromorphes. Chai et ses collègues supposent que le morphotype 4 était spécialisé pour une écologie alimentaire durophage. Néanmoins, des études biomécaniques sont nécessaires pour savoir si le crâne des thalattosaures de ce morphotype 4 est adapté à ce régime alimentaire.

Chai et ses collègues ont également réalisé des calculs pour évaluer la diversité évolutive de la taille et de la morphologie du tronc et de la queue des thalattosaures. Ils constatent qu’au cours de leur évolution, les thalattosaures ne présentent pas d’augmentation de taille marquée. Ils présentent une moyenne de taille du tronc comprise entre 0,25 m et 1m tout au long de leur évolution. Cela contraste avec les ichthyosauromorphes ainsi que les sauropterygiens qui présentent une très forte augmentation de leur taille au cours de leur évolution au trias. Chai et ses collègues constatent que les thalattosaures n’ont pas subi de pression évolutive pour augmenter leur taille, ou bien qu’ils n’ont pas pu y répondre.

La queue des thalattosaures est une queue allongée, large et latéralement aplatie, lui donnant la forme d’une pagaie. Cette morphologie caudale est restée identique tout au long de leur évolution. Là encore, cela contraste avec les ichthyosauromorphes et les sauropterygiens qui ont vu leur queue se spécialiser pour améliorer leur efficacité de nage. La queue des thalattosaures conserve ainsi une morphologie ancestrale par rapport à ces deux autres groupes. C’est cette morphologie ancestrale des thalattosaures qui semble les avoir confinés aux environnement côtiers. Cela les a rendus très fragiles face à la disparition des habitats côtiers lors de l’épisode pluvial du Carnien, les conduisant à leur extinction.
Références : Chai, J.; Lu, H.; Jiang, D.-Y.; Motani, R.; Druckenmiller, P.S.; Tintori, A.; Kelley, N.P., 2023, Reidentification of Wayaosaurus bellus and the conservative trunk and tail shape of Thalattosauria. Historical Biology.
Müller, J., 2005, The anatomy of Askeptosaurus italicus from the Middle Triassic of Monte San Giorgio and the interrelationships of thalattosaurs (Reptilia, Diapsida). Canadian Journal of Earth Sciences. 42(7): 1347-1367.
Nicholls, E.L., 1999, A reexamination of Thalattosaurus and Nectosaurus and the relationships of the Thalattosauria (Reptilia, Diapsida). Paleobios. 19: 1–29.
Jiang, D.Y.; Maisch, M.W.; Sun, Y.L.; Matzke, A.T.; Hao, W.C., 2004, A new species of Xinpusaurus (Thalattosauria) from the Upper Triassic of China. Journal of Vertebrate Paleontology. 24(1): 80-88.
Rieppel, O.; Müller, J.; Liu, J., 2005, Rostral structure in Thalattosauria (Reptilia, Diapsida). Canadian Journal of Earth Sciences. 42(12): 2081–2086.
Toutes les images proviennent de Chai et al., 2023 à l’exception de la troisième qui provient de Müller, 2005, de la quatrième qui provient de Nicholls, 1999, de la cinquième qui provient de Jiang et al., 2004 et de la sixième qui provient de Rieppel et al., 2005