Connaître la biomécanique des squelettes des animaux fossiles permet de mieux comprendre leurs capacités fonctionnelles, et donc leur écologie. Parmi les caractéristiques biomécaniques étudiables, l’étude de l’amplitude de mouvement permet d’analyser les mouvements naturels possibles des articulations. Chez les dinosaures, de nombreux genres de saurischiens ont vu leur amplitude de mouvement analysée, mais peu d’ornithischiens ont été étudiés sur ce domaine. Senter et Mackey analysent ainsi l’amplitude de mouvement de l’épaule de deux ornithischiens du crétacé supérieur d’Amérique du Nord : l’ornithopode bipède Thescelosaurus et le cératopsien quadrupède Styracosaurus.

Senter et Mackey ont analysé la scapula, le coracoïde et l’humérus pour l’holotype (CMN 344) de Styracosaurus albertensis et pour un spécimen de Thescelosaurus sp. (NCSM 15728). Sur la base de ces fossiles, ils ont reconstruit les articulations en y ajoutant des tissus mous, notamment du cartilage. Une fois l’articulation de l’épaule reconstruite, Senter et Mackey ont pu analyser sa biomécanique, et donc par conséquent son amplitude de mouvement et l’orientation de son membre antérieur.

Styracosaurus est un genre quadrupède exclusif, comme le montre la proportion de ses membres. Senter et Mackey constatent que la locomotion de Styracosaurus s’effectuait avec les coudes rentrés sur les côtés, avec le radius antérieur au cubitus et sans pronation. La morphologie de l’articulation de l’épaule indique que Styracosaurus pouvait balancer son torse de gauche à droite avec les membres antérieurs arqués. Ces caractéristiques sont identiques à celles observées pour les ceratopsidés chasmosaurinés. Styracosaurus étant un ceratopsidés centrosauriné typique, cela indique que ces caractéristiques sont communes à tous les ceratopsidés. Les observations de Senter et Mackey sur Styracosaurus peuvent donc être généralisées à tous les ceratopsidés.

Senter et Mackey supposent que la capacité des ceratopsidés à balancer leur torse de gauche à droite avait un lien avec leur comportement social. En effet, ces mouvements de torse auraient été très adaptés pour une parade nuptiale affichant les ornementations du crâne des ceratopsidés. Ils auraient également pu employer ces mouvements pour des combats intraspécifiques, en se poussant mutuellement tête contre tête, sans coups de cornes. Ce mode de combat est possible grâce à la position arquée des membres et les mouvements de torse. De plus, l’absence de coups de cornes est étayée par l’absence de pathologies liées à des coups de cornes sur les crânes fossiles de ceratopsidés.

Thescelosaurus est un genre bipède de par la proportion de ses membres. Senter et Mackey notent que l’humérus de Thescelosaurus avait une amplitude de mouvement limitée. En théorie, il aurait tout de même pu se mettre occasionnellement en position quadrupède. Cela aurait été gênant pour lui, car ses doigts auraient été orientés latéralement et maintenus en hyperextension. L’orientation du membre antérieur implique qu’une flexion des doigts aurait gêné la locomotion. Senter et Mackey en déduisent que Thescelosaurus ne devait probablement pas se déplacer en position quadrupède, comme la proportion de ses membres le laissait penser.

Au cours de leur évolution, les ornithopodes sont passés d’une locomotion bipède à une locomotion quadrupède. Senter et Mackey ont pu expliquer certaines transformations du membre antérieur en lien avec cette transition. En effet, les Styracosterna (premier clade d’ornithopodes quadrupèdes), la main est modifiée par rapport aux ornithopodes basaux. Leur doigt I est maintenu au-dessus du sol alors que le doigt II est fléchi vers le doigt III plutôt que vers la paume. Contrairement à Thescelosaurus qui aurait été gêné par ses doigts en position quadrupède, ces modifications permettaient aux doigts de propulser le membre vers l’avant.
Référence : Senter, P.J; Mackey, J.J., 2023, Forelimb motion and orientation in the ornithischian dinosaurs Styracosaurus and Thescelosaurus, and its implications for locomotion and other behavior. Palaeontologia Electronica. 26(3): a41. Je tiens à remercier chaleureusement ma vie, Arnaud Thomas, d’avoir servi de Spinosaurus de référence pour mon étude quantitativement et qualitativement scientifique (je suis paléontologue certifié merci monsieur).
Toutes les images proviennent de Senter et Mackey, 2023, à l’exception de la première qui est une œuvre de Scott Hartman