Ecologie alimentaire des tyrannosauroidés

Les tyrannosauroidés sont un groupe de dinosaures théropodes connus du jurassique moyen au crétacé supérieur. Ils sont répartis dans l’hémisphère nord, avec seulement quelques occurrences fragmentaires dans l’hémisphère sud. Les tyrannosauroidés étaient à l’origine une gamme de prédateurs de taille petite à moyenne (proceratosauridés et pantyrannosauriens basaux). Au cours du crétacé, ils ont évolué vers des formes de plus en plus grande, pour devenir des prédateurs au sommet des chaînes alimentaires : les tyrannosauridés. Johnson-Ransom et ses collègues étudient ainsi la biomécanique du crâne de nombreux tyrannosauroidés afin de connaître l’évolution de leur force de morsure, mais l’évolution de leurs écologies alimentaires.

Johnson-Ransom et ses collègues ont analysé des spécimens des proceratosauridés Proceratosaurus et Yutyrannus, du pantyrannosaurien basal Dilong, des tyrannosauridés Teratophoneus, Gorgosaurus, Daspletosaurus, Tarbosaurus et Tyrannosaurus, ainsi que des formes juvéniles des tyrannosauridés Raptorex, Tarbosaurus et Tyrannosaurus. Pour ce faire, ils ont effectué des scans CT des crânes de ces genres, afin d’obtenir des modèles 3D. Ils ont ensuite réalisé une reconstitution de la musculature de leurs mâchoires, sur la base de celle des crocodiliens actuels. Grâce à ces reconstitutions, Taborda et ses collègues ont observé les réponses structurelles des crânes des tyrannosauroidés, en leur appliquant les contraintes de von Mises.

Johnson-Ransom et ses collègues ont été en mesure d’estimer la force de morsure pour les différents tyrannosauroidés qu’ils ont étudié. Proceratosaurus a une force de 390 N, Yutyrannus une force de 2405 N et Dilong une force de 337 N. Teratophoneus a une force de 5 232 N, Gorgosaurus une force de 10 912 N, Daspletosaurus une force de 14 360 N, Tarbosaurus une force de 11 905 N et enfin Tyrannosaurus une force de 63 322 N. Les juvéniles de Tyrannosaurus ont une force de 9 167 N, les juvéniles de Raptorex une force de 1 156 N et les juvéniles de Tarbosaurus ont une force de 623 N. Ces valeurs montrent bien que les tyrannosauridés ont une plus grande force de morsure par rapport aux tyrannosauroidés basaux, même au stade juvénile.

Les résultats des analyses de stress de von Mises révèlent que lors d’une morsure, le stress biomécanique se concentre dans les os nasaux, lacrymaux, ptérygoïdes et carrés. Les tyrannosauroidés basaux sauf Yutyrannus et les tyrannosauridés juvéniles ont des valeurs de stress plus élevé que les tyrannosauridés ainsi que Yutyrannus. Johnson-Ransom et ses collègues remarquent toutefois que proportionnellement, les tyrannosauroidés basaux ont des valeurs de stress plus basses que celles des tyrannosauridés. Le crâne des tyrannosauroidés semble donc bien adapté à de fortes morsures dès le début de son évolution. C’est en augmentant leur taille que le potentiel de cette force de morsure a pu pleinement se développer.

Johnson-Ransom et ses collègues ont ensuite utilisé leurs résultats pour mieux comprendre l’écologie alimentaire des tyrannosauroidés analysés. Proceratosaurus est un proceratosauridé de petite taille qui présente des mâchoires assez minces et des dents tranchantes. Ses valeurs de stress crânien sont faibles, indiquant qu’il a une bonne résistance biomécanique aux morsures. De plus, sa crête est une zone à très faible stress qui aurait soulagé biomécaniquement le reste du crâne. Proceratosaurus pouvait donc mordre assez fort. Johnson-Ransom et ses collègues en déduisent qu’il se serait nourri de vertébrés de petite taille.

Yutyrannus était un proceratosauridé de grande taille au crâne profond mais dépourvu de crête crânienne. En revanche, il possédait des rugosités sur les os nasaux, qui étaient des zones de faible stress biomécanique. Les valeurs de stress relativement faibles de Yutyrannus indiquent qu’il a pu avoir une forte morsure. Johnson-Ransom et ses collègues suggèrent que les jeunes Yutyrannus ont pu se nourrir différemment des adultes. Selon eux, les Yutyrannus juvéniles auraient chassé des petits dinosaures (cératopsiens et théropodes coelurosaures), alors que les adultes se seraient nourri de proies plus grosses (sauropodes et ornithopodes).

Le pantyrannosaurien basal Dilong est lui aussi un tyrannosauroidé de petite taille aux mâchoires étroites. Il présente un faible stress crânien mais aussi une faible force musculaire de la mâchoire. Comme pour Proceratosaurus, Johnson-Ransom et ses collègues en déduisent qu’il se serait nourri de vertébrés de petite taille (mammifères, squamates et petits théropodes coelurosaures).

Gorgosaurus est un tyrannosauridé albertosauriné de grande taille, à la puissante morsure. Comme les autres albertosaurinés, les Gorgosaurus juvéniles ont une morphologie différente des adultes, indiquant une niche écologique différent selon le stade ontogénique. Les juvéniles avaient des mâchoires relativement minces et des membres postérieurs minces, suggérant qu’ils chassaient des proies petites et rapides (petits ornithischiens et petits théropodes). À l’âge adulte, Gorgosaurus possédait des dents et un crâne plus robustes. Ils étaient capables de résister à des forces de morsure élevées, comme en témoigne leurs faibles valeurs de stress biomécanique. Johnson-Ransom et ses collègues en concluent que les Gorgosaurus adultes chassaient de grands végétivores (hadrosauridés et cératopsiens).

Daspletosaurus était un tyrannosauridé tyrannosauriné de grande taille, qui cohabitait avec Gorgosaurus. Il a autrefois été suggéré que ces deux tyrannosauridés mangeaient des proies différentes, Gorgosaurus d’hadrosauridés et Daspletosaurus de cératopsiens. Toutefois, des restes d’hadrosauridés trouvés dans le contenu stomacal d’un Daspletosaurus contredit cette partition. Il en résulte que ce genre n’avait pas de préférences spécifiques, et était assez généraliste. Daspletosaurus avait sensiblement la même biomécanique crânienne que Gorgosaurus, et donc la même écologie alimentaire, mais son squelette postcrânien est plus robuste. Johnson-Ransom et ses collègues supposent que leur partition de niche est liée à un autre paramètre que le type de proies.

Teratophoneus était lui aussi un tyrannosauridé tyrannosauriné, mais de taille plus petite que Daspletosaurus et Gorgosaurus. Comme ces deux genres, il avait une morsure puissante et un crâne résistant au stress biomécanique. De plus, c’est le seul grand prédateur connu de son environnement. Comme les autres tyrannosauridés, les juvéniles de Teratophoneus auraient chassé des proies plus petites et plus rapides que les adultes. Johnson-Ransom et ses collègues indiquent que les Teratophoneus adultes étaient spécialisés pour chasser de grandes proies, comme les hadrosauridés et les ceratopsidés. Cette écologie est donc identique à celle de Daspletosaurus et Gorgosaurus.

Les tyrannosaurinés juvéniles de Raptorex, Tarbosaurus et Tyrannosaurus se caractérisent par des proportions graciles, un crâne mince et de longs membres postérieurs. Leur force de morsure est plus puissante que celle des tyrannosauroidés basaux adultes de même taille. Cela indique que les tyrannosaurinés juvéniles étaient déjà capables de morsures puissantes par rapport à leur gabarit. Ils auraient chassé des petits vertébrés, et en grandissant, les tyrannosaurinés juvéniles à subadultes ont pu chasser des proies plus grandes comme les ornithomimosaures, les pachycephalosaures, les thescelosauridés et les hadrosaures et cératopsiens de petite taille.

A l’âge adulte, Tarbosaurus était un prédateur de très grande taille, le plus grand de son environnement. Il avait une morsure puissante et un crâne très résistant aux contraintes biomécaniques. Johnson-Ransom et ses collègues indiquent que c’était un chasseur de proies de très grande taille, comme les grands hadrosauridés, les sauropodes titanosaures, les ankylosaures et les coelurosaures herbivores.

Les Tyrannosaurus adultes avaient un régime alimentaire très proche de celui des Tarbosaurus adultes. Toutefois, ils vivaient dans un environnement différent, avec une autre composition faunique. Là encore, c’était le plus grand prédateur de son environnement. Tyrannosaurus avait une morsure extrêmement puissante, beaucoup plus que celle des autres tyrannosauridés. Cela suggère une écologie alimentaire très spécialisée, basée sur le broyage des os de ses proies. Johnson-Ransom et ses collègues indiquent que c’était un chasseur de proies de très grande taille telles que les cératopsidés et les hadrosaures.

Référence : Johnson-Ransom, E.; Li, F.; Xu, X.; Ramos, R.; Midzuk, A.J.; Thon, U.; Atkins-Weltman, K.; Snively, E., 2023, Comparative cranial biomechanics reveal that Late Cretaceous tyrannosaurids exerted relativelygreater bite force than in early-diverging tyrannosauroids. The Anatomical Record.

Toutes les images proviennent de Johnson-Ransom et al., 2023 à l’exception de la première et de la quatrième qui sont des œuvres de Scott Hartman