Les spinosauridés sont un groupe de dinosaure théropode qui partage un certain nombre de caractéristiques avec les crocodiliens actuels. Ces caractéristiques incluent des dents coniques à la surface cannelée, des rangées de dents sinusoïdales, un crâne allongé et un prémaxillaire élargi en une « rosette » portant de plus grandes dents. Ces ressemblances ont conduit les paléontologues à suggérer un cas de convergence évolutive entre les spinosauridés et les crocodiliens. Néanmoins, les crocodiliens présentent un crâne aplati dorsoventralement, alors que celui des spinosauridés est plutôt aplati latéralement comme celui des autres théropodes. De plus, la « rosette » des spinosauridés est orientée vers le bas, contrairement à celle des crocodiliens.

Les phytosaures sont un groupe d’archosauriformes, dont les membres basaux présentent une grande similitude avec les gavials actuels, et les membres dérivés avec les crocodiles actuels. Ces formes dérivées de phytosaures ont des crânes très similaires à ceux des crocodiliens en vue dorsale, mais différents en vue latérale. Les phytosaures dérivés avaient une « rosette » haute et orientée vers le bas, contrairement aux crocodiliens. Yun remarque ainsi que les spinosauridés et les phytosaures semblent plus similaires entre eux qu’avec les crocodiliens. Il analyse ainsi la convergence évolutive entre les deux groupes.

Yun liste les caractères partagés par les spinosauridés et les phytosaures dérivés. Selon lui, ils partagent des prémaxillaires arrondis et élargis en « rosettes » orientés vers le bas, une concavité postérieure à la « rosette » prémaxillaire qui porte des dents plus petites, une marge convexe de la mâchoire supérieure derrière cette concavité portant de grandes dents, un museau aplati latéralement mais peu aplati dorsoventralement, une petite fenêtre antorbitale et un palais osseux. A noter toutefois que l’analyse de Yun se limite aux caractéristiques partagées au niveau du crâne.

Yun utilise ses comparaisons afin de mettre en lien des interprétations écologiques faites pour les spinosauridés ou pour les phytosaures. Il note qu’il a été suggéré que la « rosette » des phytosaures soit une adaptation efficace pour réduire les contraintes mécaniques liées aux mouvements des proies. L’orientation vers le bas de la « rosette » serait adapté pour saisir la proie plus fermement, créant une structure en forme de cage avec les mâchoires. Yun suppose que ces avantages liés à la présence d’une « rosette » orientée vers le bas soient également valables pour les spinosauridés. A noter que chez ces deux groupes, la « rosette » s’est progressivement élargie durant leur évolution.

Il a été proposé que les grandes dents situées sur la partie convexe du maxillaire des phytosaure jouent un rôle dans la force de la morsure. En effet, ces dents se situent dans une position relativement postérieure dans la mâchoire. Ces dents auraient permis de mordre plus fort, mais aussi de maintenir les proies fermement et longtemps. Yun indique donc que les grandes dents sur la partie convexe du maxillaire des spinosauridés ont pu avoir le même rôle. De plus, ces dents ont même pu servir à écraser les carapaces de tortues pour les spinosauridés les plus dérivés comme Spinosaurus.

Les phytosaures et les spinosauridés présente un palais osseux, mais celui-ci n’est pas totalement adapté pour respirer tout en étant immergé, en cloisonnant les narines de la bouche. Ce palais aurait plutôt servi à offrir une meilleure résistance aux contraintes mécaniques lors des morsures, comme chez des formes basales de crocodylomorphes tels que les shartegosuchoidés. Les phytosaures et les spinosauridés ont également une fenêtre antorbitale de petite taille. La taille de cette fenêtre se réduit au cours de l’évolution des deux groupes. Une petite fenêtre antorbitale réduit la torsion que subit le crâne. Cette évolution convergente des phytosaures et des spinosauridés vers une fenêtre antorbitale plus petite traduit des pressions évolutives similaires.

La présence d’un museau texturé de foramens chez les spinosauridés a été utilisée pour soutenir l’hypothèse d’un système tégumentaire sensoriel dans leur museau. Ils auraient ainsi des mécanorécepteurs tégumentaires pour détecter leurs proies, une adaptation pour chasser dans des conditions de faible luminosité. Les crânes des phytosaures dérivés présentent eux aussi de nombreux foramens à l’extrémité de leur museau. Yun émet donc l’hypothèse que les phytosaures présentaient eux aussi un système sensoriel dans leur museau afin de chasser des proies plus facilement.

Yun a également passé en revue les différents arguments qui traitent de l’écologie de Spinosaurus. En effet, certaines théories en font un animal semi-aquatique spécialisé, alors que d’autres en font un animal pataugeur vivant au bord de l’eau. Pour Yun, Spinosaurus vivait en eaux peu profondes, et passait le plus clair de son temps à nager ou marcher au fond de l’eau, s’aventurant occasionnellement sur la terre ferme. Il compare ce mode de vie à celui des cétacés basaux comme les pakicetidés, inféodés au milieu aquatique sans présenter de spécialisations évidentes pour une nage efficace.
Référence : Yun, C.-G., 2023, Spinosaurs as phytosaur mimics a case of convergent evolution between two extinct Archosauriform clades. Acta Palaeontologica Romaniae. 20(1): 17-29.
Sereno, P.C.; Myhrvold, N.; Henderson, D.M.; Fish, F.E.; Vidal, D.; Baumgart, S.L.; Keillor, T.M.; Formoso, K.K.; Conroy, L.L., 2022, Spinosaurus is not an aquatic dinosaur. eLife. 11: e80092.
Toutes les images proviennent de Yun, 2023, à l’exception de la première qui provient de Sereno et al., 2022 et de la seconde qui est une œuvre de Scott Hartman
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