Ecologie alimentaire de Saurosuchus

Saurosuchus est un genre de pseudosuchien loricata décrit en 1959 par Reig, avec S. galilei pour espèce-type. Il est connu de nombreux spécimens de différents stades ontogéniques, provenant tous du Carnien de la formation géologique d’Ischigualasto (Argentine). Avec une taille adulte estimée à 7 mètres de longueur, Saurosuchus est l’un des plus grands Loricata connus. Il a souvent été comparé aux théropodes allosauridés et tyrannosauridés, sur la base de sa taille et de sa morphologie crânienne. Fawcett et ses collègues étudient ainsi la biomécanique du crâne de S. galilei, afin de la comparer aux théropodes et de connaître son implication pour l’écologie alimentaire de Saurosuchus.

Photographies et dessins interprétatifs du crâne PVSJ 32, référé à Saurosuchus galilei par Alcober, 2000

Fawcett et ses collègues ont analysé le crâne du spécimen PVSJ 32, qui est un individu juvénile âgé de 16 ans à sa mort et proche de la taille adulte. Il a été référé à Saurosuchus galilei en 2000 par Alcober. Malgré le fait qu’il soit un juvénile, PVSJ 32 présente un crâne biomécaniquement très proche de celui d’un adulte. Les résultats obtenus par Fawcett et ses collègues peuvent donc s’appliquer aux Saurosuchus adultes. Ils ont crée un modèle 3D du crâne de PVSJ 32, en reconstituant la musculature de ses mâchoires.

Modèle 3D du crâne PVSJ 32 de Saurosuchus galilei

A partir du modèle 3D, Fawcett et ses collègues ont calculé la force musculaire de chaque muscle de PVSJ 32. Ils ont soumis le modèle à la méthode d’analyse des contraintes de von Mises. L’application des contraintes de von Mises permet de connaître la résistance d’un objet lors d’une action, ainsi que son comportement biomécanique. Cette méthode permet de connaître les actions optimales au niveau biomécanique, indiquant quels mouvements Saurosuchus était susceptible de faire ou de ne pas faire. Fawcett et ses collègues ont utilisé les contrainte de von Mises dans les cas d’une morsure antérieure et d’une morsure postérieure. Ils ont ensuite comparé les résultats obtenus avec ceux obtenus pour un crâne du théropode Allosaurus fragilis, qui est de taille similaire à S. galilei.

Résultats des analyses des contraintes de Von Mises pour une morsure antérieure de Saurosuchus (a) et d’Allosaurus (b)

Au cours d’une morsure antérieure, Fawcett et ses collègues ont estimé que la force de morsure de Saurosuchus était de 1015 N. Pour une morsure postérieure, Saurosuchus aurait eu une force de morsure de 1885 N. L’application des contraintes de von Mises révèle que les principales zones de faiblesse mécanique chez Saurosuchus sont les vomers, les ptérygoïdes et les carrés, suivis des pariétaux et des postorbitaux. Les reconstructions musculaires et les analyses biomécaniques de Fawcett et ses collègues indiquent que Saurosuchus avait un crâne mécaniquement fort dans sa globalité. En revanche, il possédait une morsure relativement faible, proportionnellement à sa taille.

Résultats des analyses des contraintes de Von Mises pour une morsure postérieure de Saurosuchus (c) et d’Allosaurus (d)

Les comparaisons entre Saurosuchus et Allosaurus montrent une certaine convergence, mais aussi plusieurs différences notables. Les crânes des deux genres montrent une certaine résistance aux stress lors d’une morsure, et des distributions de stress globalement similaires. Cependant, la moitié antérieure du crâne d’Allosaurus est nettement plus solide mécaniquement que celle de Saurosuchus. De plus, la force de morsure postérieure de d’Allosaurus (environ 3500 N) est bien supérieure à celle de Saurosuchus, alors qu’Allosaurus est lui-même considéré comme un théropode à la morsure faible. La forme rectangulaire du crâne de Saurosuchus, la morphologie de ses prémaxillaires et des ses vomers l’auraient rendu plus sensible aux contraintes qu’Allosaurus, qui avait un crâne aux extrémités arrondies et une morphologie différente des prémaxillaires et des vomers.

Comparaison des contraintes mécaniques affectant Saurosuchus (a) et Allosaurus (b) lors d’une morsure ; on constate notamment que la région antérieure (de 1 à 6) du crâne d‘Allosaurus est bien plus résistante que celle de Saurosuchus

Durant le trias moyen et le début du trias supérieur, la taille moyenne des carnivores dépassait la taille des herbivores. Cette tendance contraste le reste du Mésozoïque. Les Loricata basaux étaient donc souvent les plus gros animaux terrestres de leur environnement durant cette période. Saurosuchus n’échappait pas à cette règle. En revanche, Allosaurus cohabitait avec plusieurs espèces de sauropodes bien plus grandes que lui. Fawcett et ses collègues supposent donc que les Loricata basaux n’auraient pas eu besoin d’une forte morsure, car leurs proies étaient beaucoup plus petites qu’eux-mêmes. En revanche, les grands théropodes auraient eu cette nécessité, car leurs proies étaient bien plus grandes qu’eux.

Reconstitution squelettique de Batrachotomus, un Loricata basal proche de Saurosuchus, par Scott Hartman

La morsure faible et les contraintes mécaniques de Saurosuchus indiquent que ce n’était pas un charognard grattant les os, ni un ostéophage. Fawcett et ses collègues indiquent qu’il s’est probablement nourri en mordant les tissus musculaires des carcasses. Ce comportement se retrouve chez Allosaurus, mais aussi chez le Loricata Batrachotomus. Contrairement à ces deux taxons, Saurosuchus aurait évité tout contact avec les os de ses proies, car il présente peu d’usure dentaire et son crâne n’était pas adapté pour mordre des os. Fawcett et ses collègues en déduisent que Saurosuchus se nourrissait des parties les moins dures des carcasses, le rendant gaspilleur. C’était donc une espèce clé de voûte de son écosystème, en régulant les populations d’herbivores par la chasse, et de mésoprédateurs par la production de charognes.

Références : Fawcett, M.J.; Lautenschlager, S.; Bestwick, J.; Butler, R.J., 2023, Functional morphology of the Triassic apex predator Saurosuchus galilei (Pseudosuchia: Loricata) and convergence with a post-Triassic theropod dinosaur. The Anatomical Record.

Reig, O.A., 1959, Primeros datos descriptivos sobre nuevos arcosaurios del Triásico de Ischigualasto (San Juan, Argentina). Revista de la Asociación Geológica Argentina. 13(4): 257–270.

Alcober, O., 2000, Redescription of the skull of Saurosuchus galilei (Archosauria: Rauisuchidae). Journal of Vertebrate Paleontology. 20: 302–316.

Toutes les images proviennent de Fawcett et al., 2023 à l’exception de la première qui provient d’Alcober, 2000 et de la dernière qui est une œuvre de Scott Hartman

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