Avec ses membranes fœtales complexes, l’œuf amniotique a été une innovation clé dans l’évolution des vertébrés, en caractérisant le clade des amniotes (Sauropsida + Synapsida). Deux hypothèses principales existent sur l’évolution de cet œuf amniotique. La première stipule que l’œuf ancestral a développé des membranes fœtales pour s’adapter à l’environnement terrestre. Cette hypothèse suggère que les premiers amniotes étaient ovipares. La seconde stipule que l’œuf ancestral a développé des membranes fœtales pour contrôler l’interaction fœto-maternelle, suite à l’apparition de la rétention embryonnaire prolongée (extended embryo retention en anglais, soit EER). Cette hypothèse suggère que les premiers amniotes étaient vivipares. La découverte d’un embryon de choristodère (voir cet article) a permis à Jiang et ses collègues de mettre en avant l’une de ces deux hypothèses.

Afin de connaître les caractéristiques de l’œuf amniotique ancestral, Jiang et ses collègues ont collecté les données des œufs des amniotes actuels et des amniotes fossiles pour lesquels les œufs sont connus. Ces données ont été incluses dans un arbre phylogénétique, afin de suivre l’évolution des caractéristiques de œufs au sein d’Amniota. Jiang et ses collègues ont noté si les taxons étudiés étaient vivipares ou ovipares, si ils présentaient un EER et le niveau de minéralisation de la coquille d’œuf (membranaire, parcheminée ou rigide). Jiang et ses collègues précisent que l’EER se définit par des œufs pondus au stade du bourgeon du membre ou plus tard.

L’hypothèse qui suggère que les premiers amniotes étaient vivipares sans EER, et que la viviparité a évolué à partir de cette condition ancestrale. Selon cette hypothèse, les squamates, mammifères, choristoderes, mesosaures, ichthyosauromorphes et sauropterygiens ont développé leur viviparité avec l’apparition de l’EER combinée à des œufs à coquille membranaire ou parcheminée. Au fur et à mesure de l’évolution, la coquille de l’œuf a disparu, conduisant à la viviparité. Toutefois, les résultats de Jiang et ses collègues contredisent cette hypothèse, et placent la viviparité comme condition ancestrale des amniotes. L’oviparité est, dans ce scénario, développée indépendamment à de multiples reprises par les différents clades d’amniotes.

Pour Jiang et ses collègues, les premiers amniotes ont développé la viviparité à partir de l’œuf EER de leurs ancêtres. Par la suite, l’oviparité s’est développée chez plusieurs clades mais la majorité des mammifères, certains squamates et certains sauropsides aquatiques ont conservé cette viviparité ancestrale. Certains lepidosaures ont développé des œufs à la coquille parcheminée, en perdant parfois l’EER. Les mammifères monotrèmes ont également perdu l’EER tout en développant des œufs à coquille membranaire.

La viviparité semble encore être la condition ancestrale chez Archosauromorpha. Chez les choristodères, la viviparité était la condition ancestrale mais des taxons dérivés comme Ikechosaurus ont développé une oviparité avec des œufs à la coquille parcheminée, sans EER. Chez les tortues, l’EER a été perdu et des œufs à la coquille rigide ont été développés, avec parfois des œufs à la coquille parcheminée. Les œufs à coquille membranaire semblent être la condition ancestrale chez les archosaures, qui ont également perdu l’EER. Les crocodiliens ont développé des œufs à coquille rigide, tout comme les théropodes.

Les œufs à coquille rigide sont inconnus pendant le Carbonifère, le Permien et une grande partie du Trias. Ces œufs rigides sont sensés mieux se conserver, et leur absence dans les archives fossile pourrait refléter une véritable absence plutôt qu’un biais d’échantillonnage. Néanmoins, il existe très peu d’archives fossiles documentant la reproduction des amniotes, et il est possible que des œufs à coquille rigide restent à découvrir sur ces périodes. Jiang et ses collègues notent qu’en l’absence d’une telle découverte, le scénario de la viviparité ancestrale est à privilégier.
Référence : Jiang, B.; He, Y.; Elsler, A.; Wang, S.; Keating, J.N.; Song, J.; Kearns, S.L.; Benton, M.J., 2023, Extended embryo retention and viviparity in the first amniotes. Nature Ecology & Evolution.
Motani, R.; Jiang, D.-Y.; Tintori, A.; Rieppel, O.; Chen, G.-B., 2014, Terrestrial Origin of Viviparity in Mesozoic Marine Reptiles Indicated by Early Triassic Embryonic Fossils. PLoS ONE. 9(2): e88640.
Caldwell, M.W.; Lee, M.S., 2001, Live birth in Cretaceous marine lizards (mosasauroids). Proceedings of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences. 268(1484): 2397-2401.
Toutes les images proviennent de Jiang et al., 2023 à l’exception de la troisième qui qui provient de Motani et al., 2014 et de la quatrième qui provient de Caldwell et Lee, 2001
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