Analyse de la dentition des rhynchosaures

Les rhynchosaures sont des archosauromorphes du trias aux adaptations crâniennes très spécialisées. Ces adaptations comprennent des prémaxillaires jumelés en « bec » courbés vers le bas et une batterie dentaire robuste. La batterie dentaire des rhynchosaures se compose de plusieurs rangées de dents sur le maxillaire et le dentaire. Les rhynchosaures se sont nourris avec une morsure de cisaillement de précision, où les dentitions des mâchoires supérieure et inférieure se coupent l’une l’autre, comme une paire de ciseaux. Sethapanichsakul et ses collègues analysent l’évolution de la dentition des rhynchosaures au cours de l’ontogénèse et au cours de l’évolution du groupe.

Reconstitution squelettique du rhynchosaure Hyperodapedon

Sethapanichsakul et ses collègues ont étudié en détail trois spécimens de rhynchosaures de stades ontogéniques différents, en les passant au scanner CT et aux rayons X. Ils proviennent tous de l’Anisien de la formation géologique d’Helsby Sandstone (Devon, Angleterre). Ces spécimens sont : le crâne complet d’un adulte, holotype de Bentonyx sidensis (BRSUG 27200), une mandibule isolée d’un subadulte (BRSUG OSF 374) et une mandibule isolée d’un adulte très âgé (BRSUG OSF 327). BRSUG OSF 374 et BRSUG OSF 327 sont des spécimens attribuables à Hyperodapedontidae indet.

Scans CT de la mandibule de subadulte BRSUG OSF 374, montrant ses os en gris et ses dents en blanc

La dentition des rhynchosaures est unique parmi les amniotes, avec une implantation dentaire et un attachement dentaire spécialisés. Il existe deux types d’attachement dentaire : la gomphose où la dent est liée à la mâchoire par un ligament (le ligament parodontal), et l’ankylose où la dent est liée à la mâchoire par fusion osseuse. Aucun de ces deux types d’attachement ne correspond à la condition observée chez les rhynchosaures. L’implantation dentaire des rhynchosaures est ankylothécodonte, une implantation qui est unique à ce groupe. Elle se caractérise par des racines profondes incrustées dans l’os de la mâchoire, et des couronnes basses rapidement usées.

Scans CT du crâne BRSUG 27200, holotype de Bentonyx sidensis (avec les os en gris et les dents en blanc), montrant les détails de sa dentition à l’implantation ankylothécodonte (les racines des dents sont profondes et incrustées dans l’os)

Chez les rhynchosaures, les surfaces occlusales (c’est-à-dire les surfaces de fermeture des mâchoires) du maxillaire et du dentaire sont incurvées. Au cours de l’ontogénèse, la zone occlusale s’élargissait et se déplaçait vers l’arrière, la partie antérieure des zones occlusales se courbant vers le haut. Ainsi, au cours de l’ontogénèse, le « sourire » du rhynchosaure s’exagérait car les surfaces occlusales se courbaient de plus en plus.

Série ontogénique du dentaire des rhynchosaures, montrant que la surface occlusale se courbe au cours de l’ontogénèse et que les dents s’aplatissent de plus en plus avec l’âge, du fait de leur usure et de l’absence de remplacement dentaire

A l’aide des scans CT et des vues aux rayons X des spécimens qu’ils ont analysé, Sethapanichsakul et ses collègues affirment que les rhynchosaures n’avaient pas de système de remplacement dentaire : c’est la condition monophyodonte. Leurs nouvelles dents apparaissent uniquement aux extrémités postérieures des rangées de dents. Au cours de l’ontogénèse, les mâchoires s’élargissent pour accueillir ces nouvelles générations de dents. Ainsi, le nombre de rangées dentaires augmentait avec l’âge puisque le nombre de dents ne faisait que croître. Les dents usées des rhynchosaures n’étaient pas remplacées, et s’usaient donc jusqu’à leur disparition totale. Les individus âgés présentent peu de dents et ces dents survivantes sont toutes aplaties, du fait de cette condition monophyodonte.

Scans CT de la mandibule d’adule âgé BRSUG OSF 327 (avec les os en gris et les dents en blanc), montrant que la plupart de ses dents ont disparu à cause de l’usure et que les dents restantes sont très aplaties

La préférence pour la mastication du côté droit ou gauche, appelée latéralisation, est couramment observées chez les tétrapodes. Sethapanichsakul et ses collègues ont noté une telle latéralisation chez l’holotype (BRSUG 27200) de Bentonyx sidensis. BRSUG 27200 présente 41 dents à droite et 25 dents à gauche de ses mâchoires. Le plus grand nombre de dents au côté droit montre que celui-ci a été moins usé par l’alimentation, et donc que BRSUG 27200 préférait mastiquer du côté gauche. Toutefois, ces observations se basent sur un unique spécimen. Il est possible que la préférence générale de mastication de Bentonyx ne soit pas celle observée sur son holotype. Plus de spécimens de B. sidensis seraient nécessaires pour savoir si cette espèce latéralise bien sa mastication du côté gauche.

Scans CT du crâne holotype de Bentonyx sidensis (BRSUG 27200), montrant les détails de sa dentition

Les rhynchosaures ont connu deux phases de diversification au trias moyen puis au trias supérieur, chacune associée à des adaptations dentaires différentes. Sethapanichsakul et ses collègues notent que la première phase correspondait à une dentition avec des plaques dentaires à plusieurs rangées de dents, avec des rainures et des crêtes complexes entre les éléments porteurs de dents. La seconde phase correspondait à une dentition avec un système de rainures et de crêtes uniques, avec une organisation dentaire plus ordonnée. Sethapanichsakul et ses collègues remarquent que les rhynchosaures préféraient les paléoenvironnements chauds et secs, du fait de leur métabolisme ectotherme.

Arbre phylogénétique des rhynchosaures montrant l’évolution de leur dentition, avec deux phases de diversification, au trias moyen avec les rhynchosauridés non-hyperodapedontinés, puis au trias supérieur avec les hyperodapedontinés

Références : Sethapanichsakul, T.; Coram, R.A.; Benton, M.J., 2023, Unique dentition of rhynchosaurs and their two-phase success as herbivores in the Triassic. Palaeontology. 66(3): e12654.

Benton, M.J., 1983, The Triassic reptile Hyperodapedon from Elgin: functional morphology and relationships. Philosophical Transactions of the Royal Society of London B: Biological Sciences. 302: 605-718.

Toutes les images proviennent de Sethapanichsakul et al., 2023 à l’exception de la première qui provient de Benton, 1983

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