Actuellement, il est admis que Tyrannosaurus était un prédateur actif, chassant des proies vivantes. Plusieurs analyses ont démontré que la vitesse de pointe de Tyrannosaurus ne dépassait pas 36 km/h. Cette vitesse est inférieure à celle des proies potentielles de Tyrannosaurus, comme l’ornithopode Edmontosaurus ou le cératopsien Triceratops. Il a donc été supposé que Tyrannosaurus chassait ses proies en les prenant par surprise, ou bien en les épuisant avec une meilleure endurance de course. Il faut savoir que plus la masse d’un animal est importante, et plus sa vitesse dans l’eau reste proche de sa vitesse à terre. Blanco étudie ainsi le cas où Tyrannosaurus chasse ses proies au bord de l’eau, avec des niveaux d’immersion variables, afin d’analyser les avantages et les inconvénients de ce mode de chasse.

Blanco part du postulat que Tyrannosaurus présentait un avantage biomécanique sur ses proies dans un environnement d’eau peu profonde. En effet, Tyrannosaurus était plus massif que la plupart de ses proies comme les hadrosauridés, les pachycephalosaures ou encore les petits théropodes. Une exception peu être faite pour les cératopsiens, mais leurs crânes ornementés en auraient fait de mauvais nageurs. Tyrannosaurus présentait aussi des membres postérieurs plus longs qui lui permettaient de rester en contact avec le sol à de plus grandes profondeurs d’eau. Blanco a ainsi analysé l’impact de la profondeur d’eau sur la vitesse de Tyrannosaurus ainsi que sur deux de ses proies potentielles : l’ornithopode Edmontosaurus et le petit théropode ornithomimidé Struthiomimus.

Blanco a analysé quatre phases de locomotion dans l’eau, qui nécessitent chacune la mobilisation de caractéristiques biomécaniques différentes : le pataugeage, avec le corps axial entièrement hors de l’eau (mode I), le pataugeage, avec le corps axial partiellement immergé dans l’eau (mode II), la nage avec le poids du corps soutenu en grande partie par la flottabilité (mode III) et finalement la nage à la surface (mode IV). Blanco a effectué des équations pour modéliser la vitesse de Tyrannosaurus, Edmontosaurus et Struthiomimus dans ces quatre mode de locomotion. Il a pris des valeurs de vitesse à terre de 25 km/h pour Tyrannosaurus et de 50 km/h pour Edmontosaurus et Struthiomimus.

Lorsque Tyrannosaurus, Edmontosaurus et Struthiomimus pataugent dans le mode de locomotion I, leur vitesse est quasi identique à leur vitesse à terre. Tyrannosaurus était alors plus lent que ses proies si les deux pataugeaient. Toutefois, à partir du mode de locomotion II, les vitesses d’Edmontosaurus et Struthiomimus baissent drastiquement, passant respectivement à 15-18 km/h et 15-16 km/h. Pour le mode II, la vitesse de Tyrannosaurus baisse aussi, mais beaucoup moins et passe à 20-23 km/h. Aux modes III et IV, les vitesses de ces trois dinosaures baissent encore, mais Tyrannosaurus reste plus rapide. En plus d’être plus rapide que ses proies à partir du pataugeage, avec le corps axial partiellement immergé dans l’eau, Tyrannosaurus met plus de temps à changer de mode de locomotion car ses membres postérieurs sont plus grands.

Les résultats de Blanco montrent Tyrannosaurus était plus rapide que des proies potentielles plus petites et plus rapides sur la terre ferme comme Edmontosaurus et Struthiomimus. Pousser ses proies à aller dans l’eau aurait ainsi pu constituer une stratégie de chasse efficace pour Tyrannosaurus et d’autres théropodes de grande taille. Il a été suggéré que les tyrannosauridés pouvaient chasser en groupes, ce qui aurait facilité le guidage des proies vers l’eau. Néanmoins, même un seul grand Tyrannosaurus chargeant sur un groupe dense de proies aurait pu pousser certains individus à s’échapper vers l’eau. La modélisation de Blanco nous ouvre ainsi les yeux sur une nouvelle stratégie de chasse potentielle pour Tyrannosaurus, mais aussi pour d’autres théropodes de grande taille.
Référence : Blanco, R.E., 2023, Tyrannosaurus rex runs again: a theoretical analysis of the hypothesis that full-grown large theropods had a locomotory advantage to hunt in a shallow-water environment. Zoological Journal of the Linnean Society. 198(1): 202–219.
Toutes les images proviennent de Blanco, 2023 à l’exception de la première qui est une œuvre de Scott Hartman