Diversité du mode de nage chez les sauropsides marins

Au cours du Mésozoïque, une dizaine de groupes de sauropsides ont colonisé les milieux marins. Ces clades sont notamment Ichthyosauromorpha, Sauropterygia, Mosasauroidea, Thalattosuchia et Testudinata. Des analyses ont déjà été menées sur les différentes adaptations crâniennes chez ces groupes, afin d’en mesurer la diversité. Toutefois, la diversité des modes de locomotion reste cependant mal connue, bien qu’elle soit un aspect crucial de la biologie et de l’écologie chez ces groupes. Gutarra et ses collègues analysent ainsi la morphologie du squelette de ces différents groupes de sauropsides marins, afin d’en analyser la diversité et son évolution au cours du Mésozoïque.

Reconstitution squelettique de l’ichthyosauromorphe Ophthalmosaurus, un sauropside marin du crétacé, par Scott Hartman

Gutarra et ses collègues ont réalisé des analyses morphologiques en étudiant 125 espèces, appartenant à neuf groupes : Sauropterygia, Ichthyosauromorpha, Pantestudines, Mosasauroidea, Thalattosuchia, Thalattosauria, Rhynchocephalia, Saurosphargidae et Tanystropheidae. Ils ont ensuite utilisé leurs résultats dans des analyses morphométriques mais aussi des analyses de disparité morphologique. Gutarra et ses collègues ont également inclus les données de plusieurs tétrapodes marins actuels, afin d’avoir une base de comparaison. Toutes ces analyses permettent de mieux comprendre l’évolution morphologique de ces différents groupes de sauropsides, et de les comparer.

Illustration montrant les différentes mesures prises par Gutarra et ses collègues, en se basant sur le squelette du plesiosaure rhomaleosauridé Meyerasaurus

Gutarra et ses collègues remarquent que dans leurs analyse morphométriques, les taxons basaux de chaque groupe ont tendance à tous se regrouper dans un même morphospace. Ce morphospace semble correspondre à celui de la morphologie ancestrale des sauropsides marins. Toutefois, ce n’est pas le cas pour les ichthyosauromorphes basaux. Les hupehsuchiens, les omphalosauridés et les premiers ichtyosauriens se trouvent assez loin de ce morphospace ancestral. Les ichthyosauromorphes basaux occupent plutôt un morphospace de nageurs à locomotion par propulsion. Gutarra et ses collègues en concluent que les ichthyosauromorphes ont subi un rayonnement évolutif très tôt dans leur évolution, et que des formes basales proches du morphospace ancestral restent à découvrir.

Résultats des analyses morphospatiales de Gutarra et ses collègues, plaçant les sauropsides marins du Mésozoïque dans différents morphospaces correspondant à différents modes de nage ; on remarque notamment que le morphospace des ichthyosauromorphes superpose en grande partie celui des mosasauroidés

Gutarra et ses collègues constatent que la plupart des sauropterygiens du Trias étaient des nageurs par ondulation, la condition ancestrale des sauropterygiens. Le pistosauroidé Yunguisaurus est toutefois retrouvé dans le morphospace des nageurs par vol sous-marin ou par mouvement de rame. Quelques autres sauropterygiens du Trias se trouvent aussi dans un morphospace qui en fait de potentiels nageurs par mouvement de rame. Ces genres sont les pachypleurosaures Diandongosaurus, Keichousaurus et Neusticosaurus et le pistosauroidé basal Wangosaurus. Gutarra et ses collègues en déduisent que le vol sous-marin des plésiosaures est apparu chez les pistosauroidés, et qu’une nage par mouvement de rame a pu se développer de manière indépendante chez plusieurs genres.

Résultats des analyses morphospatiales de Gutarra et ses collègues, plaçant les sauropsides marins du Mésozoïque dans différents morphospaces correspondant à différents modes de nage, avec des tétrapodes marins actuels pour comparer les résultats

La plupart des mosasauroidés étaient jusque là supposés être des nageurs anguilliformes. Gutarra et ses collègues remarquent que les mosasaures se trouvent dans un morphospace qui se chevauche beaucoup avec celui des ichthyosauromorphes. Ils notent l’existence d’une convergence évolutive dans le style de nage entre les mosasauroidés et les ichthyosauromorphes. Les mosasauridés dérivés ont un style de nage plus proche de la nage sous-carangiforme que de la nage anguilliforme. Leur morphospace indique qu’ils étaient très agiles, avec un style de nage maniable. Gutarra et ses collègues notent que le style de nage des crocodylomorphes thalattosuchiens reste flou, car ils ont une combinaison unique de caractères. Des études biomécaniques sont nécessaires pour mieux comprendre le style de nage de thalattosuchiens.

Graphique montrant la proportion des différents groupes de sauropsides dans les mers au Mésozoïque (en rouge, les ichthyosauromorphes ; en vert, les sauropterygiens ; en jaune, les thalattosaures ; en bleu ciel, les pantestudines ; en bleu foncé, les thalattosuchiens ; en violet, les rhynchocéphales ; en orange, les mosasauroidés)

L’analyse de la diversité morphologique des sauropsides marins au cours du Mésozoïque montre une augmentation progressive de la disparité locomotrice, jusqu’à un point culminant au Crétacé. Ce schéma évolutif est probablement associé à des changements globaux du niveau de la mer et de la productivité des océans, qui ont tous deux culminé au Crétacé. Certains groupes ont une diversité morphologique à l’évolution différant de ce modèle général, comme les ichthyosauromorphes. Les ichthyosauromorphes ont eu un pic de disparité tôt dans leur histoire évolutive, au cours du Trias, et ses sont éteints au début du crétacé supérieur.

Référence : Gutarra, S.; Stubbs, T.L.; Moon, B.C.; Heighton, B.H.; Benton, M.J., 2023, The locomotor ecomorphology of Mesozoic marine reptiles. Palaeontology. 66(2): e12645.

Toutes les images proviennent de Gutarra et al., 2023 à l’exception de la première qui est une œuvre de Scott Hartman

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