Sutures crâniennes des hadrosauridés

Les sutures crâniennes sont des zones d’articulation des os crâniens au niveau des fronts de croissance des os. L’analyse des sutures crâniennes des dinosaures est très informative car elle nous donne des informations sur les contraintes mécaniques subies par le crâne. En effet, les sutures crâniennes permettent d’absorber les contraintes mécaniques en se déformant. Elles peuvent se fermer au cours de l’ontogénèse, mais d’autres facteurs tels que le stress biomécanique peuvent entraîner la conservation de ces sutures crâniennes tout au long de la vie. Il est couramment suggéré que les deux sous-familles des hadrosauridés, lambeosaurinés et hadrosaurinés, avaient un régime alimentaire spécialisé, évitant la concurrence entre eux. Dudgeon et Evans ont ainsi analysé les sutures crâniennes des hadrosauridés, pour savoir si des différences de sutures entre les groupes pouvaient nous indiquer une écologie alimentaire différente.

Exemples de sutures crâniennes pouvant être retrouvées sur le crâne des hadrosauridés

Dudgeon et Evans ont comparé la morphologie de plusieurs sutures crâniennes de deux hadrosauridés : le lambeosauriné Corythosaurus et l’hadrosauriné Gryposaurus. Ces deux genres ont été sélectionnés car ils sont connus de plusieurs crânes bien conservés appartenant à des individus de différents stades ontogéniques. Il est ainsi possible pour Dudgeon et Evans de reconstruire l’évolution ontogénique des sutures crâniennes de Corythosaurus et Gryposaurus. Ils comparent ensuite leurs résultats à ceux obtenus pour d’autres hadrosauridés lambeosaurinés et hadrosaurinés, afin de les confirmer et de leur donner un contexte plus général.

Séries ontogéniques (juvénile, subadulte et adulte) du crâne de Gryposaurus (à gauche) et de Corythosaurus (à droite)

L’analyse des sutures crâniennes se base sur l’indice de sinuosité de la suture, qui est le rapport la longueur d’une suture suivant son tracé par rapport à la longueur absolue en ligne droite de la suture. Dudgeon et Evans ont également évalué la complexité des sutures crâniennes en comparant leurs tracés et contours.

Exemple de calcul d’indice de sinuosité d’une suture crânienne (S), avec la mesure de la longueur de la suture (SL) et la mesure de sa longueur absolue en ligne droite (SD)

Dudgeon et Evans ont constaté que les sutures crâniennes de Corythosaurus sont plus sinueuses que celles de Gryposaurus, ce qui s’observe plus largement entre les lambeosaurinés et les hadrosaurinés. Corythosaurus et Gryposaurus montrent une augmentation de la sinuosité au cours de l’ontogénèse. Ce phénomène s’explique par le fait que les forces de morsure et et de levier de la mâchoire augmentent avec la taille du corps chez les hadrosauridés. Dudgeon et Evans notent que la suture interfrontale des lambeosaurinés est plus sinueuse que celle des hadrosaurinés, mais s’avère tout autant complexe. Au contraire, la suture frontopariétale des lambeosaurinés est plus sinueuse et plus complexe que celle des hadrosaurinés.

Mesures de l’indice de sinuosité pour les sutures interfrontales (a) et frontopariétales (b) des crânes de Gryposaurus (en rouge) et Corythosaurus (en bleu), aux stades juvénile, subadulte et adulte ; on note que la sinuosité des sutures augmente au cours de l’ontogénèse, et que celle-ci est plus élevée chez les lambeosaurinés

Dudgeon et Evans considèrent que leur analyse des sutures crâniennes des hadrosauridés indique que leur morphologie est associée au processus de mastication, et non au support physique de la crête crânienne. Ils le justifient par le fait que les lambeosaurinés juvéniles présentent des sutures crâniennes déjà développées comme celles des adultes, avant même la formation de leur crête crânienne. Malgré ces différences, les sutures crâniennes des lambeosaurinés et des hadrosaurinés ont une construction globalement similaire. Cela suggère que le toit crânien de ces deux clades a probablement subi des contraintes mécaniques similaire lors de la mastication, mais que ces contraintes étaient plus fortes chez les lambeosaurinés. Dudgeon et Evans proposent ainsi un argument supplémentaire en faveur d’une partition de niche alimentaire entre les lambeosaurinés et les hadrosaurinés.

Arbres phylogénétiques montrant l’indice de sinuosité pour les sutures interfrontales (a) et frontopariétales (b) des crânes des ornithopodes ; on note une sinuosité bien plus forte chez les lambeosaurinés que chez les autres ornithopodes, une différence liée à un mode d’alimentation différent des autres ornithopodes

Référence : Dudgeon, T.W., Evans, D.C., 2023, Calvarial sutureinterdigitation in hadrosaurids (Ornithischia: Ornithopoda): Perspectives through ontogeny andevolution. Evolution & Development.

Toutes les images proviennent de Dudgeon et Evans, 2023

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