Les griffes manuelles des thérizinosaures et des alvarezsauroidés

Chez les théropodes Maniraptora, la lignée évolutive menant aux oiseaux, les mains servent principalement à saisir et à voler. Toutefois, deux clades de Maniraptora basaux font office d’exception : les thérizinosaures et les alvarezsauroidés. Les alvarezsauroidés avaient des bras et des mains courts et robustes, avec un seul doigt fonctionnel muni d’une forte griffe. Les thérizinosaures avaient quant à eux des doigts allongés avec des unguéaux minces en forme de faucille. Plusieurs fonctions ont déjà été proposée pour ces mains spécialisées, mais aucune de ces propositions n’a su faire l’unanimité, car les méthodes d’analyse étaient partielles. Qin et ses collègues analysent ainsi en détail la fonction des mains des thérizinosaures et des alvarezsauroidés en se basant sur une étude complète de leurs griffes.

Comparaison de taille entre le thérizinosaure Therizinosaurus (a) et l’alvarezsauroidé Mononykus (b), mettant en valeur la morphologie particulière de leurs mains ; Reconstitutions squelettiques du thérizinosaure Nothronychus (a) et de l’alvarezsauroidé Mononykus (b) par Scott Hartman

Qin et ses collègues ont étudié les griffes des thérizinosaures Alxasaurus, Jianchangosaurus, Martharaptor, Beipiaosaurus, Therizinosaurus, Erliansaurus, Falcarius et Nothronychus ainsi que des alvarezsauroidés Aorun, Shishugounykus, Bannykus, Haplocheirus, Linhenykus, Mononykus, Albertonykus et Tugulusaurus. En guise de comparaison, les griffes de plusieurs autres théropodes ainsi que de mammifères actuels ont également été étudiés. Qin et ses collègues ont analysé les surfaces de stress mécanique sur ces griffes avec la méthode d’analyse des contraintes de von Mises. L’application des contraintes de von Mises permet de connaître la résistance de la griffe lors d’une action, ainsi que son comportement biomécanique. Ils ont ensuite fait des analyses de performances pour ces griffes dans trois domaines différents : percer, agripper et creuser.

Arbre phylogénétique présentant les relations de parenté entre les genres étudiés par Qin et ses collègues, ainsi que les résultats des analyses de stress des contraintes de von Mises

Les analyses de stress de Qin et ses collègues ont révélé que les griffes des alvarezsauroidés basaux présentent un stress mécanique assez faible, comparable à celui des autres théropodes. Les griffes des alvarezsauroidés dérivés Linhenykus et Mononykus présentent une morphologie et des niveaux de stress très proches de ceux du pangolin actuel (Manis). Le stress mécanique affectant les griffes des thérizinosaures s’est avéré être faible à moyen, à l’exception de Therizinosaurus. Les griffes de Therizinosaurus présentent en effet un stress mécanique très importante, ce qui traduit une très faible capacité à supporter le stress.

Comparaison des réactions des griffes des mammifères actuels (a), des thérizinosaures (b) et des alvarezsauroidés (c) aux contraintes de von Mises appliquées par Qin et ses collègues pour les actions de percer, agripper et creuser ; on note le morphospace très éloigné occupé par Therizinosaurus (b, 6), montrant sa très faible résistance au stress

Les griffes de l’alvarezsauroidé basal Aorun possèdent des capacités fonctionnelles très proches de celles des théropodes non-Maniraptora. Les griffes d’Aorun ont des performances variables selon l’action testée (percer, agripper ou creuser), signalant le fait que ses griffes n’étaient pas spécialisés et proches de la condition ancestrale des théropodes. Les griffes de la plupart des thérizinosaures et les alvarezsauroidés basaux Shishugounykus et Tugulusaurus ont des capacités fonctionnelles assez bonnes dans les trois catégories testées. Les alvarezsauroidés dérivés comme Linhenykus et Mononykus ont des capacités fonctionnelles très bonnes dans les trois catégories testées. Qin et ses collègues notent que ces résultats montrent que contrairement à ce que les études précédentes pensaient, les griffes des thérizinosaures et des alvarezsauroidés n’étaient pas adaptées à une unique fonction.

Résultats de l’analyse fonctionnelle menée par Qin et ses collègues, montrant que les griffes des thérizinosaures (en violet) sont adaptées pour percer et agripper mais beaucoup moins pour creuser, et que les griffes des alvarezsauroidés (en orange) ont des adaptations variées selon la phylogénie des genres, avec les griffes des genres dérivés faites pour creuser, et celles des genres plus basaux faites pour percer et agripper

Qin et ses collègues ont étudié l’impact de la taille corporelle sur les performances des griffes des thérizinosaures et des alvarezsauroidés. Leur analyse montre que chez les thérizinosaures les performances diminuent avec l’augmentation de la taille. Les genres les plus petits sont ceux possédant les griffes les plus efficaces, tandis que les genres les plus grands comme Therizinosaurus ont des griffes quasiment inutilisables. Cette tendance ne s’observe pas chez les alvarezsauroidés. En effet, au cours de son évolution, les membres du groupe ont eu tendance à voir leur taille corporelle réduite. Les performances des griffes des alvarezsauroidés ne semble pas être liées à la taille corporelle, mais plutôt au degré de modification morphologique.

Graphiques présentant le ratio entre la masse corporelle, les dimensions des griffes (courbes rouges et oranges) et les performances fonctionnelles (courbes bleues) pour les griffes des thérizinosaures (à gauche) et des alvarezsauroidés (à droite) ; on observe une diminution des performances fonctionnelles en fonction de l’augmentation de la masse corporelle pour les thérizinosaures, mais aucune conclusion ne peut être tirée pour les alvarezsauroidés

L’analyse fonctionnelle de Qin et ses collègues montre que les griffes des thérizinosaures ne sont pas faites pour creuser. Les thérizinosaures ont des griffes bien adaptées pour percer et agripper. Ces observations soutiennent l’hypothèse que ce groupe se nourrissait en agrippant et en tirant sur les végétaux (ou en saisissant leurs proies pour les membres les plus basaux). Les griffes très particulières de Therizinosaurus possèdent les pires performances fonctionnelles de l’analyse de Qin et ses collègues. Ils supposent que les griffes de Therizinosaurus étaient incapables d’assumer une quelconque fonction pour l’alimentation, ne pouvant servir que pour intimider ou parader. Ils suggèrent que des facteurs ont pu favoriser le développement de telles griffes démesurées, comme la pression sexuelle, avec en contrepartie des performances fonctionnelles très réduites.

Photographies de plusieurs griffes manuelles de thérizinosaures

Qin et ses collègues montrent que les griffes des alvarezsauroidés basaux du jurassique (Aorun, Haplocheirus et Shishugounykus) étaient bien adaptés pour agripper et percer, mais pas pour creuser. La fonction de leurs griffes était encore proche de celle des autres théropodes, en servant à capturer de petites proies. Les griffes des alvarezsauroidés du crétacé inférieur (Bannykus, Tugulusaurus) possédaient déjà des adaptations pour creuser, suggérant un changement d’écologie alimentaire par rapport aux genres du jurassique. Enfin, les alvarezsauroidés dérivés du crétacé supérieur (alvarezsauridés) ont des griffes adaptées à toutes les fonctions, mais très performantes pour creuser. Une tendance évolutive de modification de la morphologie des griffes s’observe chez les alvarezsauroidés, avec le passage d’un régime alimentaire généraliste à un régime alimentaire insectivore strict basé sur l’excavation de terriers et de bois mort.

Griffes manuelles d’alvarezsauroidés : reconstitution 3D d’une griffe de Mononykus (a) et photographies d’une griffe de Trierarchuncus (b)

Référence : Qin, Z.; Liao, C.C.; Benton, M.J.; Rayfield, E.J., 2023, Functional space analyses reveal the function and evolution of the most bizarre theropod manual unguals. Communications Biology. 6: 181.

Kobayashi, Y.; Takasaki, R.; Fiorillo, A.R.; Chinzorig, T.; Hikida, Y., 2022, New therizinosaurid dinosaur from the marine Osoushinai Formation (Upper Cretaceous, Japan) provides insight for function and evolution of therizinosaur claws. Science Reports. 12: 7207.

Toutes les images proviennent de Qin et al., 2023 à l’exception de la première qui comporte deux œuvres de Scott Hartman et de l’avant-dernière qui provient de Kobayashi et al., 2022

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