Les spinosauridés sont une famille de théropodes connus d’une poignée de genres du crétacé, divisée en deux sous-familles : Baryonychinae et Spinosaurinae. Ils se caractérisent par des adaptations morphologiques à une écologie semi-aquatique et un régime alimentaire au moins partiellement piscivore. Avec leur gamme d’adaptations, il est logique de s’attendre à ce que le cerveau des spinosauridés possède également des adaptations à leur écologie. La neuroanatomie d’un spinosauriné, Irritator, a déjà été étudiée, mais jusque là aucune étude n’avait été menée sur la neuroanatomie des baryonychinés. Barker et ses collègues analysent ainsi la neuroanatomie des baryonychinés Baryonyx et Ceratosuchops afin de connaître les caractéristiques neuroanatomiques de cette sous-famille.

Barker et ses collègues ont étudié la boîte crânienne de l’holotype (NHMUK PV R9951) de Baryonyx walkeri ainsi que celle de l’holotype (IWCMS 2014.95.1–3) de Ceratosuchops inferodios. Ils ont procédé à des scans CT de ces os, afin d’en connaître la structure interne et ainsi en reconstruire l’endocrâne. En effet, chez les sauropsides, le cerveau ne remplit pas l’ensemble de la boîte crânienne, c’est pourquoi le terme d’endocrâne lui est préféré. De même, le nom d’un moulage ou reconstitution 3D de cet endocrâne sera appelé endocaste. Barker et ses collègues ont ainsi pu déterminer les capacités sensorielles ainsi que les capacités cognitives de Baryonyx et Ceratosuchops.

Les endocastes de Baryonyx et Ceratosuchops sont conformes à la morphologie générale de ceux des autres théropodes non-coelurosauriens (megalosauridés, allosauroidés et cératosaures). Leurs bulbes olfactifs ont des proportions similaires à celles de ces groupes, suggérant que l’odorat des baryonychinés était semblable à celui des autres théropodes. Il n’était pas particulièrement développé et était proche des capacités olfactives ancestrales des théropodes. L’oreille interne de ces deux baryonychinés ne présente pas non plus de modification morphologique, et est très similaire à celle des autres théropodes.

Les lobes optiques de Baryonyx et Ceratosuchops sont imperceptibles, ce qui est très souvent le cas chez les théropodes non-coelurosauriens. Barker et ses collègues notent que les lobes optiques ont tendance à devenir de plus en plus visibles au fur et à mesure de l’évolution des coelurosaures vers les oiseaux. Ils notent que Baryonyx possédait des mécanismes de stabilisation du regard proches de ceux des autres théropodes non-coelurosauriens. Cela contraste avec Irritator, qui possédait une stabilisation du regard bien développés. La morphologie du crâne de Ceratosuchops suggère par ailleurs que ce dernier aurait pu avoir une vision stéréoscopique, avec des orbites plus tournées vers l’avant que la plupart des autres théropodes. Ce n’est pas une certitude, mais si c’était bien le cas, Ceratosuchops aurait par exemple pu distinguer les reliefs.

Malgré sa plus petite taille corporelle, il s’avère que Baryonyx possédait une oreille interne plus grande que celle de Ceratosuchops. Barker et ses collègues ont calculé l’acuité auditive de Baryonyx et Ceratosuchops sur la base de la taille du canal cochléaire endo-osseux, situé dans l’oreille interne. Baryonyx avait ainsi une fréquence d’audition optimale de 2538 hertz et une fréquence moyenne d’audition de 1594 hertz. Pour Ceratosuchops, la fréquence d’audition optimale était de 2210 hertz, et sa fréquence moyenne d’audition était de 1416 hertz. Ces fréquences se trouvent dans la moyenne basse pour les théropodes. Barker et ses collègues remarquent également que les capacités auditives de Baryonyx et Ceratosuchops sont inférieures à celles d’Irritator.

Les capacités cognitives de Baryonyx ont été estimées en calculant son quotient d’encéphalisation reptilien (le QER, ou REQ en anglais). Ce quotient s’obtient en comparant la masse cérébrale par rapport à la masse corporelle. Le QER estimé par Barker et ses collègues pour Baryonyx est d’entre 1,2 et 1,6. Ce QER est semblable à celui des autres grands théropodes non-coelurosauriens, ce qui suggère que les capacités cognitives et la sophistication comportementale des spinosauridés leur était comparable. Barker et ses collègues constatent ainsi que les baryonychinés possèdent une morphologie cérébrale, des caractéristiques sensorielles et des capacités cognitives très proches de ceux des autres théropodes. Ils en concluent que les baryonychinés avaient des adaptations cérébrales suffisantes pour leur écologie, et que seules des modifications morphologiques ont été nécessaires au cours de leur évolution.
Référence : Barker, C.T.; Naish, D.; Trend, J.; Michels, L.V.; Witmer, L.; Ridgley, R.; Rankin, K.; Clarkin, C.E.; Schneider, P.; Gostling, N.J., 2023, Modified skulls but conservative brains? The palaeoneurology and endocranial anatomy of baryonychine dinosaurs (Theropoda: Spinosauridae). Journal of Anatomy. 1–22.
Toutes les images proviennent de Barker et al., 2023 à l’exception de la première qui est une œuvre d’Anthony Hutchings