L’une des caractéristiques les plus remarquables de la dentition des serpents est l’absence de fosses de résorption externes sur la surface des dents. Les dents fonctionnelles des serpents ne montrent ainsi aucun signe externe de résorption jusqu’à ce qu’elle soit sur le point de tomber. Ce mode de remplacement dentaire est unique au sein des amniotes, car tous les autres amniotes présentent des fosses de résorption. Toutefois, même si ce mécanisme est bien connu, il est mal compris. LeBlanc et ses collègues cherchent ainsi à savoir si il est identifiable chez les serpents fossiles. En effet, avec des membres réduits voire absents, les premiers serpents ont dû développer des adaptations au niveau du crâne pour pouvoir se nourrir. Ils cherchent à situer l’apparition évolutive de ce caractère chez les serpents.

LeBlanc et ses collègues ont ainsi analysé le mode de remplacement dentaire chez le serpent basal Portugalophis, le madtsoiidé Yurlunggur et plusieurs serpents actuels. Ils ont analysé le paratype de Portugalophis lignites, un dentaire gauche (MG-LNEG 28094), ainsi qu’une dent isolée de Yurlunggur sp. (QM F45391). Ces spécimens ont été passés au scanner CT afin de permettre la visualisation de leurs caractéristiques internes. Les serpents actuels ont été analysés au moyen de coupes histologiques ainsi que de scan CT.

L’analyse de LeBlanc et ses collègues sur les serpents actuels leur a permis d’identifier plusieurs signes de résorption interne des dents usées. Ils ont ainsi pu rechercher ces signes chez Portugalophis et Yurlunggur, afin de noter ou non leur présence. LeBlanc et ses collègues ont relevé chez eux la présence de structures identiques à celles identifiées chez des dents en cours de résorption de serpents modernes. Les dents de Portugalophis et Yurlunggur ne présentent aucune preuve de résorption le long des parois externes de leurs dents. Ainsi, tout comme les serpents actuels, les serpents fossiles avaient un mode de remplacement dentaire discret, sans résorption externe visible.

Les dents sont cruciales pour les prédateurs à membres réduits ou sans membres que sont les serpents. En effet, elles sont essentielles pour l’alimentation, en étant le seul outil disponible pour capturer et ingérer les proies. Le mode de remplacement dentaire des serpents, unique chez les amniotes, aurait pu leur conférer un avantage sélectif. L’absence de résorption externe permet de maintenir un approvisionnement continu en dents fonctionnelles. Les serpents étant des chasseurs de grosses proies, leurs dents ont tendance à facilement casser, et un remplacement dentaire rapide aurait été avantageux au cours de leur évolution.

La présence de ce mode de remplacement chez Portugalophis montre qu’il s’était déjà développé chez les tout premiers serpents, avant même la disparition complète des membres. Ainsi, lors de la réduction de leurs membres, les tout premiers serpents ont développé en parallèle ce mode de remplacement dentaire. Cela indique également que Portugalophis et les autres serpents basaux pouvaient déjà s’attaquer à de grosses proies sans risquer d’être édentés pour un long moment.
Référence : LeBlanc, A.R.H.; Palci, A.; Anthwal, N.; Tucker, A.S.; Araújo, R.; Pereira, M.F.C.; Caldwell, M.W., 2023, A conserved tooth resorption mechanism in modern and fossil snakes. Nature Communications. 14(1): 742.
Toutes les images proviennent de LeBlanc et al., 2023