Analyse ostéohistologique de Protostega

Pour comprendre le cycle biologique des tortues marines actuelles, et ainsi permettre leur protection, de nombreuses études sur leur ostéohistologie ont été menées. Au contraire, l’ostéohistologie des tortues marines fossiles n’a pratiquement pas été étudiée. Sur la base de nos connaissances sur les tortues actuelles, il est ainsi possible de prédire de nombreuses caractéristiques écologiques pour les tortues fossiles à partir de leur ostéohistologie. Protostega est une tortue marine de la famille des protostegidés, connue de nombreux spécimens du Campanien des Etats-Unis et du Canada. Ce genre est monospécifique, avec l’espèce P. gigas, et représente l’une des plus grande tortue ayant jamais existé. Wilson entreprend ainsi d’analyser l’ostéohistologie de Protostega pour mieux comprendre son écologie et son cycle biologique.

Reconstitution squelettique de Protostega par Tosha Hollmann

Etant donné que le cycle de croissance des tortues marines actuelles varie entre des populations géographiquement séparées, Wilson n’a étudié que des spécimens de Protostega provenant de la formation géologique de Niobrara (Kansas, USA). Il a étudié plusieurs os longs, comprenant un humérus et un fémur du squelette FHSM VP-17979 et trois humérus (KUVP 1208, CM 1393 et CM 1421). Pour comparer ses résultats, Wilson a également analysé l’ostéohistologie d’un humérus (FHSM VP-17470) de Desmatochelys et d’un humérus (FHSM VP-700) de Toxochelys. Desmatochelys est un protostegidé plus basal que Protostega tandis que Toxochelys est un toxochelyidé, une famille très proche des protostegidés.

Photographies des spécimens de Desmatochelys et de Protostega étudiés par Wilson (les barres rouges montrent l’emplacement des coupes ostéohistologiques réalisées)

L’analyse ostéohistologique de Wilson révèle qu’aucun des spécimens de Protostega étudiés n’a atteint la maturité squelettique. Le spécimen CM 1393 était âgé de 2 ans à sa mort, tandis que FHSM VP-17979 était âgé de 4 ans et que les spécimens KUVP 1208 et CM 1421 étaient âgés de 8 ans. Sur la base des plus grands spécimens de Protostega connus, Wilson estime que KUVP 1208 avait atteint 85% de la taille d’un individu mature squelettiquement. Il en déduit que chez Protostega, la maturité squelettique était atteinte à 10 ans.

Coupes ostéohistologiques des spécimens de Protostega les plus âgés (A-C, CM 1421 ; D-F, KUVP 1208), les flèches violettes montrent les lignes de croissance

Wilson note que la microstructure osseuse de Protostega est beaucoup plus proche de celle de la tortue luth (Dermochelys) que de celle des tortues cheloniidés. Avec une telle similitude, Wilson a ainsi comparé les caractéristiques ostéohistologiques de Protostega avec celles de la tortue luth pour en déduire des détails de son écologie. Tout comme elle, Protostega avait une croissance rapide et un taux métabolique élevé, lui permettant de maintenir une température corporelle plus élevée que celle de l’eau de son environnement. Protostega présente également une plasticité de croissance, c’est-à-dire une variation des taux de croissance. Cette plasticité est un avantage évolutif car elle permet de mieux survivre lors de périodes difficiles (peu de nourriture, changements de température…). La croissance de Protostega était ainsi axée en fonction du stress environnemental.

Coupes ostéohistologiques des spécimens de Protostega les plus jeunes (A-F, FHSM VP-17979 ; G-I, CM 1393), les flèches violettes montrent les lignes de croissance

En revanche, Wilson note que la microstructure osseuse de Protostega est différente de celle de Toxochelys et de Desmatochelys. Malgré leur appartenance à la même famille, Desmatochelys et Protostega ont donc des schémas de croissance bien distincts, ce qui peut s’expliquer par la phylogénie. En effet, Desmatochelys est un protostegidé du Barrémien, bien plus ancien et basal que Protostega. Desmatochelys a vécu bien avant l’apparition des mosasaures et des plésiosaures polycotylidés. Pour répondre à la prédation de ces deux clades, les protostegidés ont pu évoluer vers une croissance rapide pour gagner en taille. Protostega correspond ainsi à ce stade évolutif, qui n’était pas encore présent chez Desmatochelys.

Comparaison de la microstructure osseuse de Desmatochelys (A), Toxochelys (B), Dermochelys (C, tortue luth) et Protostega (D) ; on note la forte ressemblance entre Dermochelys et Protostega, mais la différence marquée entre Desmatochelys et Protostega

La phylogénie des tortues marine est encore aujourd’hui sujette à débat. Il est admis que les toxochelyidés sont des membres basaux de Chelonioidea, mais les relations entre Protostegidae, Dermochelyidae et Cheloniidae ne sont pas claires. Certaines études placent Protostegidae avec Dermochelyidae, mais d’autres préfèrent placer Dermochelyidae avec Cheloniidae et faire de Protostegidae un groupe de Chelonioidea basaux. En fonction de la phylogénie utilisée, la croissance rapide et le taux métabolique élevé peuvent avoir évolué de manière convergente chez les protostegidés et les dermochelyidés, ou bien avoir été hérités d’un ancêtre commun. Wilson fait remarquer que si ces caractéristiques sont ancestrales aux deux groupes, alors elles ont été perdues chez Desmatochelys.

Référence : Wilson, L.E., 2023, Rapid growth in Late Cretaceous sea turtles reveals life history strategies similar to extant leatherbacks. PeerJ. 11: e14864.

Toutes les images proviennent de Wilson, 2023 à l’exception de la première qui est une œuvre de Tosha Hollmann

Laisser un commentaire