Allosaurus est un théropode allosauridé du jurassique supérieur d’Amérique du Nord tandis que les tyrannosauridés sont un groupe de théropodes de la fin du crétacé supérieur connus d’Asie et d’Amérique du Nord. De nombreuses études ont déjà été réalisées sur l’écologie alimentaire d’Allosaurus et de Tyrannosaurus. Ces études ont montré qu’Allosaurus était un prédateur à la morsure assez faible, déchirant et coupant la chair grâce à des mouvements de rétraction du crâne à la manière d’un rapace. Tyrannosaurus quant à lui était un prédateur à la morsure puissante et au crâne robuste, brisant les os de ses proies. La faible morsure d’Allosaurus semble indiquer qu’il ne pouvait pas briser les os et les consommer, mais un coprolithe contenant plus de 50% d’os lui a été attribué. Winkler et ses collègues tentent ainsi d’apporter des éclaircissement en comparant la micro-usure dentaire d’Allosaurus à celle des tyrannosauridés.

Les micro-usures dentaires sont les traces laissées par la nourriture ainsi que par les particules externes situées sur celle-ci lors de la morsure. L’étude de Winkler et ses collègues repose sur des spécimens dentaires d’Allosaurus et des tyrannosauridés Albertosaurus, Bistahieversor, Teratophoneus, Tarbosaurus et Tyrannosaurus. Ils ont comparé ces données avec celles du saurischien basal Herrerasaurus et de crocodiles actuels.

L’analyse morphospatiale de la micro-usure dentaire menée par Winkler et ses collègues a retrouvé Allosaurus dans la même gamme morphologique que les tyrannosauridés et les crocodiles actuels. Herrerasaurus et les juvéniles d’Allosaurus et de Tarbosaurus ont une gamme morphologique sensiblement différente des théropodes adultes. Les micro-usures dentaires d’Herrerasaurus suggèrent qu’il s’agissait d’un prédateur de petites proies ne nécessitant pas un grand traitement oral. Toutefois seuls deux spécimens de ce genre ont été analysés, donc Winkler et ses collègues restent prudents sur leur interprétation.

La micro-usure dentaire observée chez Allosaurus n’est pas différente de celle des tyrannosauridés et Tyrannosaurus ne présente pas de micro-usure significative, ce qui est le cas pour les crocodiles actuels broyeurs d’os. Winkler et ses collègues imputent une écologie de prédateurs opportunistes à ces théropodes sur la base de leur micro-usure dentaire. Ils en déduisent également que Tyrannosaurus n’était pas un broyeur d’os systématique et que sa consommation d’os était occasionnelle. Toutefois les autres tyrannosauridés ainsi qu’Allosaurus étaient également des ostéophages occasionnels, probablement lors de périodes de stress alimentaire.

Les Allosaurus et Tarbosaurus juvéniles ont une micro-usure dentaire différente de celle des adultes, ce qui montre que l’écologie alimentaire des juvéniles était différente de celle des adultes. Toutefois, les micro-usures des dents des juvéniles sont bien marquées alors que leur morphologie était plus gracile. Winkler et ses collègues interprètent ce résultat comme la preuve d’un charognage accru chez les juvéniles. Les jeunes théropodes grattaient la viande des carcasses abattues par les adultes.

Ainsi Winkler et ses collègues en concluent qu’Allosaurus et les tyrannosauridés présentaient une écologie alimentaire très similaire malgré leurs différences morphologiques. En revanche la micro-usure dentaire a révélé que leur mode de morsure était bien différent et correspond à ceux proposés par les études précédentes. Winkler et ses collègues ont également noté un changement ontogénique d’écologie alimentaire chez ces théropodes. Ils notent toutefois des faiblesses dans leur étude, basées sur le fait que la position des dents dans la mâchoire fait varier sa fonction et que la position des dents de théropodes analysées est inconnue. De plus, ils ont exclu de leur échantillon les dents de tyrannosauridés abîmées, or celles-ci sont peut-être la preuve d’une ostéophagie plus fréquente.
Référence : Winkler, D.E.; Kubo, T.; Kubo, M.O.; Kaiser, T.M.; Tütken, T., 2022, First application of dental microwear texture analysis to infer theropod feeding ecology. Palaeontology. 65(6): e12632.
Toutes les images proviennent de Winkler et al., 2022 à l’exception de la première qui a été réalisée à partir de deux œuvres de Scott Hartman