La queue des diplodocidés ne bougeait pas à la vitesse du son

Les sauropodes dicraeosauridés et diplodocidés (formant à deux le clade Flagellicaudata) présentent la particularité de posséder des queues extrêmement allongées. Composée d’environ 80 vertèbres, la queue des flagellicaudata a soulevé de nombreuses interrogations quant à sa fonction. Les paléontologues ont ainsi proposé que cette queue ait joué un rôle de troisième membre postérieur, permettant aux flagellicaudata de se dresser temporairement sur leurs seuls membres postérieurs (une posture qualifiée de tripodale). D’autres hypothèses ont suggéré que cette queue pouvait jouer un rôle de contrepoids au long cou de ces sauropodes, ou bien que leur queue servait de point d’attache à de puissants muscles des membres postérieurs.

Reconstitution de la position tripodale de deux flagellicaudata : reconstitution du vivant de Barosaurus par Fred Wierum (à gauche) et reconstitution squelettique de Diplodocus par Gregory Paul (à droite)

Plus récemment, il a été suggéré que les flagellicaudata ont pu se servir de leur queue pour se défendre face à leurs prédateurs en s’en servant comme d’un fouet ou de dispositif tactile pour la reconnaissance spatiale. L’une des études menée sur le sujet, réalisée en 1997 par Myhrvold et Currie proposait que la queue des flagellicaudata servait en fait d’un moyen de dissuasion des prédateurs pouvant émettre des sons puissants par bangs soniques. Conti et ses collègues testent ainsi la viabilité de l’hypothèse d’une queue supersonique pour améliorer notre compréhension de la fonction de la queue des flagellicaudata.

Reconstitution du vivant d’un Diplodocus présentant un « popper » au bout de sa queue, par Gregory Paul

Conti et ses collègues ont ainsi reconstruit les tissus mous de la queue d’un flagellicaudata en se basant sur les tissus mous de la queue des crocodiles modernes. Ils ont ensuite étudié la résistance mécanique de ces tissus en se basant sur la résistance mécanique de la queue des kangourous. La queue choisie d’être modélisée par Conti et ses collègues est une queue d’un diplodocidé apatosauriné de 12,44 mètres de longueur et à la masse de 1446,16 kg. Cette queue se base sur plusieurs spécimens d’apatosaurinés provenant de la formation géologique de Morrison (USA). L’hypothèse d’une queue pouvant émettre un bang sonique se base sur la présence d’un « popper » au bout de cette queue, une extension de tissus mous flexibles dont l’existence reste hypothétique et dont la vitesse aurait dépassé celle du son.

Graphique montrant l’évolution de la rotation de la queue modélisée par Conti et ses collègues en fonction du temps. Ces mesures se basent sur les mouvements de la huitième vertèbre caudale

La résistance de la queue dépend de la structure des fibres de collagène, du taux de déformation et de l’alignement des lignes de Langer (lignes topologiques parallèles à l’orientation des fibres de collagène et musculaires) de la queue. Conti et ses collègues ont étudié la résistance des tissus mous d’un éventuel « popper » à des mouvements de queue à grande vitesse comme décrits dans l’étude de Myhrvold et Currie. Leurs analyses montrent que les contraintes appliquées à la queue avec ce « popper » seraient trop puissantes pour son intégrité physique. Une telle structure n’est donc pas viable, ce qui contredit l’hypothèse d’une queue supersonique.

Queue de sauropode (b) comparée à un fouet (a), dont les tissus mous ont été reconstruits en volume cylindrique (c, en haut) et par rapport à leur disposition sur la queue (c, en bas)

Conti et ses collègues ont soumis cette queue à un mouvement latéral à sa base, ce qui a entraîné des vagues en boucle, un mouvement semblable à celui d’un fouet qui s’accélère au fur et à mesure qu’il arrive au bout de la queue. En ajoutant un sacrum à cette queue, le mouvement est grandement ralenti et atteint 32,7 m/s au maximum, soit 10 fois moins que la vitesse du son. Une telle vitesse reste cohérente pour un usage de la queue des flagellicaudata pour se défendre face aux prédateurs ou d’en servir lors de combats intraspécifiques. En effet une vitesse environnant 30 m/s est suffisante pour porter des coups douloureux au corps sans toutefois briser les os ou lacérer la peau.

Graphique montrant l’évolution de la vitesse de la queue modélisée par Conti et ses collègues en fonction du temps. Ces mesures se basent sur la vitesse de la dernière vertèbre caudale qui atteint une vitesse maximale de 32,7 m/s, trop faible pour émettre un bang sonique mais suffisante pour blesser un prédateur ou pour des combats intraspécifiques

Références : Conti, S.; Tschopp, E.; Mateus, O.; Zanoni, A.; Masarati, P.; Sala, G., 2022, Multibody analysis and soft tissue strength refute supersonic dinosaur tail. Science Reports. 12: 19245.

Myhrvold, N.P.; Currie, P. J., 1997, Supersonic sauropods? Tail dynamics in the Diplodocids. Paleobiology. 23: 393–409.

Toutes les images proviennent de Conti et al., 2022 à l’exception de la première qui se compose d’une œuvre de Fred Wierum et d’une œuvre de Gregory Paul ainsi que de la seconde qui est une œuvre de Gregory Paul

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