Les rhynchosaures sont des archosauromorphes du trias aux adaptations crâniennes très spécialisées. Ces adaptations comprenant des prémaxillaires jumelés en « bec » courbés vers le bas et une batterie dentaire robuste, qui ont longtemps été interprétées comme la preuve d’une alimentation herbivore. Le « bec », potentiellement recouvert d’une gaine de kératine, servirait à creuser et la batterie dentaire à broyer des végétaux robustes et des racines. Toutefois il manque des données microanatomiques sur les prémaxillaires des rhynchosaures pour valider cette hypothèse. Mukherjee et Ray étudient ainsi les prémaxillaires des rhynchosaures pour connaitre les adaptations biomécaniques de ces os et par conséquent les préférences alimentaires de ce groupe.

Pour ce faire, Mukherjee et Ray ont utilisé un échantillon de 18 prémaxillaires appartenant au genre de rhynchosaure Hyperodapedon mais à plusieurs espèces : 6 à H. huxleyi (dont le prémaxillaire de l’holotype de l’espèce), 11 à H. tikiensis et 1 à H. sp. Les spécimens de H. tikiensis ont été découverts dans un même lit d’os et appartiennent à des membres de taille différente d’un unique troupeau. Cette spécificité permet l’analyse ostéohistologique de cet ensemble de prémaxillaires en tant que population par Mukherjee et Ray.

Les prémaxillaires d’Hyperodapedon sont édentés, allongés, recourbés et robustes, forment un bec et se séparent à l’arrière pour former une seule narine médiane. Ces prémaxillaires présentent des rugosités sous forme de stries fibreuses ainsi que de nombreux foramina observés par Mukherjee et Ray. Ces foramina se divisent en deux classes de taille avec la majorité de petite taille et nombreux et une minorité plus grande et plus rare. Ils s’observent dans tous les spécimens indépendamment des variations de taille ou de morphologie.

L’analyse de ces stries et de ces foramina par Mukherjee et Ray indique que le prémaxillaire d’Hyperodapedon était fortement vascularisé mais également parcouru d’un système dense de nerfs. Cette vascularisation semble adaptée à l’approvisionnement en nutriments d’un tissu kératineux recouvrant les prémaxillaires. Cette observation par Mukherjee et Ray vient confirmer l’hypothèse de la présence d’un bec de kératine chez les rhynchosaures. L’innervation faciale des prémaxillaires indique des capacités sensorielles particulièrement développées pour Hyperodapedon. Ce système neurovasculaire présent sur le prémaxillaire pourrait donc également être une spécialisation pour la recherche de proies.

L’analyse de la microstructure des prémaxillaires d’Hyperodapedon avec l’aide d’une analyse ostéohistologique montre que ces os étaient pachyostéosclérotiques. Il s’agit d’une combinaison de pachyostose (épaississement osseux) et d’ostéosclérose (densification osseuse), rendant les os particulièrement lourds. Les prémaxillaires sont les seuls os pachyostéosclérotiques du corps d’Hyperodapedon, montrant une forte histovariabilité de ses os. Cette unicité témoigne d’une forte spécialisation de l’os, mais est peu adaptée pour creuser à la recherche de nourriture car les os lourds et denses sont peu résistants face aux chocs. En réponse à cette faiblesse, les prémaxillaires d’Hyperodapedon ont pu subir un fort remodelage osseux contribuant à stopper la propagation des microfissures de l’os et absorber l’énergie des chocs.

L’analyse ostéohistologique des prémaxillaires de la population d’H. tikiensis a mis en évidence une grande variabilité histologique au cours de l’ontogénie de l’espèce. Trois stades ostéohistologiques sont observables dans cette population, correspondant aux jeunes subadultes, aux vieux subadultes et aux adultes. Cette histovariabilité montre l’existence de plusieurs phases de croissance bien différenciées. L’ostéohistologie vient également confirmer le fait que les prémaxillaires d’Hyperodapedon étaient recouverts d’un tégument épais et cornifié, en l’occurrence de la kératine. Cette gaine de kératine aurait pu permettre une solidification des prémaxillaires face aux chocs et permettre leur usage en tant qu’outils de creusement.

La présence d’une gaine de kératine sur des prémaxillaires courbés et l’existence d’un système nerveux particulièrement sensible suggère à Mukherjee et Ray qu’Hyperodapedon se nourrissait principalement d’invertébrés durs. Une forme de convergence évolutive entre les rhynchosaures et les oiseaux de rivages actuels est observée avec la présence d’un bec courbé bien adapté pour fouiller dans la boue, les vasières et le sable. L’analyse de la faune fossile environnant les fossiles de rhynchosaures permet à Mukherjee et Ray de penser qu’Hyperodapedon et plus généralement les rhynchosaures se nourrissaient de gastéropodes, de crustacés et d’arthropodes qu’ils trouvaient en fouillant dans la boue à l’aide de leurs capacités sensorielles.
Références : Mukherjee, D.; Ray, S., 2022, Pachyosteosclerosis, rhamphotheca and enhanced sensory capabilities of the premaxillae of Hyperodapedon (Archosauromorpha, Rhynchosauria): implications for foraging at the sediment–water interface. Palaeontology. 65(6): e12626.
Toutes les images proviennent de Mukherjee et Ray, 2022