Au début du XIXème siècle, les squelettes d’ichthyosaures étaient souvent collectés pour leur potentiel en tant que belle pièce digne d’exposition. Ainsi il n’était pas rare que des squelettes partiels soient complétés par d’autres spécimens pour obtenir un squelette plus complet, non pas pour tromper mais pour donner une meilleure vue du squelette. C’est ainsi que de nombreux spécimens historiques d’Angleterre ou d’Allemagne, supposés presque complets, se sont avérés être des squelettes composites. Plusieurs recherches récentes révisent les spécimens historiques d’ichthyosaures mais se heurtent à des spécimens composites trompeurs qui peuvent erroner les conclusions de ces études. Lomax et ses collègues décrivent ainsi les méthodes pour déceler ces spécimens composites.

Pour étudier la construction des spécimens composites d’ichthyosaures particulièrement réussis, Lomax et ses collègues ont analysé le spécimen RNHM F5672. Ce spécimen vendu en 1984 à un musée allemand comme un spécimen authentique compet, étiqueté Ichthyosaurus cf. tenuirostris (maintenant une espèce de Leptonectes) et provenant du jurassique inférieur du comté du Dorset (Angleterre).

Lomax et ses collègues notent que les sédiments entourant le bassin et les membres postérieurs sont de nature différente de ceux entourant le reste du squelette. Les premiers sont gris-bleuté tandis que les derniers sont presque noirs. Dans les sédiments entourant le bassin, une ammonite a été découverte et celle-ci caractérise le Sinémurien de la formation géologique de Charmouth Mudstone (Dorset, Angleterre). Les sédiments entourant le reste du squelette présentent des ammonites et des caractéristiques typiques du Toarcien de la formation géologique de Posidonia Shale (Baden-Württemberg, Allemagne).

RNHM F5672 se compose du bassin et des membres postérieurs de la formation géologique de Charmouth Mudstone, de vertèbres dorsales et caudales de provenance indéterminée, de la réplique d’un membre antérieur, d’un coracoïde provenant d’un spécimen inconnu et d’une réplique de crâne avec de vraies dents placés dans des sédiments de la formation géologique de Posidonia Shale.

Lomax et ses collègues rapportent que le crâne est entièrement faux, façonné en plâtre, tout comme la majorité des dents. Seules quelques dents mal conservées sont originales. Le crâne est particulièrement réaliste et présente des détails anatomiques précis, dont certains se rapprochent de l’anatomie du crâne des leptonectidés, ce qui semble donner une explication à l’attribution du squelette à Leptonectes.

Le membre antérieur est fait de plâtre et semble être une réplique grossière basée sur des comparaisons anatomiques. Lomax et ses collègues notent que si le squelette avait été original et sans modifications, les caractéristiques du membre antérieur en auraient fait une nouvelle espèce.

La colonne vertébrale se compose principalement de vertèbres caudales réelles mais appartenant à plusieurs individus et disposées de manière désordonnée. L’absence de caractéristiques anatomiques sur ces vertèbres empêche Lomax et ses collègues d’en déterminer la provenance ou l’indentification. Toutefois au vu des sédiments dans lesquels le squelette est placé et de la couleur de ces os, ces vertèbres pourraient provenir de la formation géologique de Posidonia Shale et appartenir à Stenopterygius. Lomax et ses collègues notent quand même qu’ils ne peuvent exclure la possibilité que ces vertèbres proviennent d’une autre localité et d’un autre genre.

Les membres postérieurs et le bassin sont bien authentiques et forment ensemble un unique spécimen. Lomax et ses collègues ont analysé les caractéristiques de ces os et en ont conclu que ce spécimen pouvait se référer à Ichthyosaurus conybeari. Ce spécimen est d’autant plus important car les caractéristiques du bassin sont légèrement différentes de celles proposées lors de la redescription d’I. conybeari par Massare et Lomax en 2016. En effet ces derniers rapportaient la présence chez cette espèce d’un ischium plus court que le pubis, une morphologie qui n’est pas présente dans le spécimen étudié par Lomax et ses collègues. Selon eux, cela peut s’expliquer par un dimorphisme sexuel, une ontogénèse, une pathologie ou une variation intraspécifique.

Lomax et ses collègues en concluent que les spécimens composites ne doivent pas être considérés comme scientifiquement inutilisables car bien compris, ils peuvent nous apporter de nouvelles informations. Maintenant que RNHM F5672 est compris, un nouveau spécimen d’Ichthyosaurus conybeari peut être considéré. Il a également permis à Lomax et ses collègues de se faire une meilleure idée des techniques d’assemblage de fossiles et pourra être utilisé à des fins de médiation sur les contrefaçons de fossiles.
Références : Lomax. D.R.; Sachs, S.; Hall, A., 2022, The ultimate ‘iffyosaur’ – An unusual ichthyosaur composite containing British and German material of different geological stages. Paludicola. 14(1): 32-42.
von Huene, F., 1966, Ein sehr junger und ungewöhnlicher Ichthyosaurier aus dem oberen Lias von Holzmaden. Neues Jahrbuch für Geologie und Paläontologie. 124: 53–55.
Massare, J.A.; Lomax. D.R., 2016, A new specimen of Ichthyosaurus conybeari (Reptilia, Ichthyosauria) from Watchet, Somerset, England, and a reexamination of the species. Journal of Vertebrate Paleontology. 36(5): 1-16.
Toutes les images proviennent de Lomax et al., 2022 à l’exception de la première qui provient de von Huene, 1966