En 2016, Apesteguia et ses collègues décrivent un nouveau genre de squamate iguanien du Cénomanien de la formation géologique de Kem Kem (Drâa-Tafilalet, Maroc) : Jeddaherdan. L’espèce type est J. aleadonta et se base sur un fragment de dentaire (MNHN.F.MRS51.1). Apesteguia et ses collègues avaient alors classé Jeddaherdan comme un agamidé dans la sous-famille des uromastycinés, en tant que taxon-soeur de Gueragama. Toutefois l’holotype de Jeddaherdan est très similaire aux spécimens du genre actuel Uromastyx vivant dans la zone saharo-arabe. Vullo et ses collègues examinent ainsi le spécimen MNHN.F.MRS51.1 pour savoir s’il s’agit d’un fossile du crétacé ou d’un subfossile récent.

Pour ce faire, Vullo et ses collègues ont employé la spectroscopie Raman, une méthode non destructive qui permet de connaître la composition moléculaire de la surface externe d’un objet. Elle consiste à envoyer une lumière monochromatique sur l’échantillon étudié et à observer les modifications de la fréquence de la lumière. Ainsi six spécimens fossiles (une vertèbre de poisson, quatre dents d’archosaures et le spécimen MNHN.F.MRS51.1) de la localité type de J. aleadonta, le site de Gara Tabroumi, ont été analysés par spectroscopie Raman pour connaître leur spectre. Pour comparer ces spectres, deux os de lézards actuels (un dentaire et un humérus d’Uromastyx) ont également été soumis à la spectroscopie Raman.

Les spectres de Raman pour les dents et la vertèbre de Gara Tabroumi sont tous similaires entre eux mais sont très différents de ceux des os d’Uromastyx et de l’holotype de Jeddaherdan aleadonta. En revanche, les spectres de Raman des os d’Uromastyx et de l’holotype de J. aleadonta sont assez similaires. La composition moléculaire de MNHN.F.MRS51.1 ainsi que du dentaire d’Uromastyx (qui est un spécimen archéologique) est similaire et suggère que l’os a été recrystallisé. Cet état de conservation apparaît comme typique des os du Quaternaire. Le résultat de la spectroscopie Raman montre que l’holotype de J. aleadonta ne provient pas de la formation géologique de Kem Kem et représente plutôt un spécimen archéologique.

MNHN.F.MRS51.1 a été collecté en surface, sans aucun sédiment en lien avec le spécimen, et présente un état de conservation similaire à celui des spécimens de lézards des sites archéologiques. L’aspect poli de l’os et les cassures peuvent être dus à la prédation et/ou à l’érosion. MNHN.F.MRS51.1 est de couleur rose tandis que les autres fossiles du site de Gara Tabroumi sont de couleur noir-marron. L’analyse morphologique de l’os par Vullo et ses collègues suggère qu’il appartient en réalité à un dentaire bien plus grand et de proportions différentes de celui estimé par Apesteguia et ses collègues. Les caractéristiques ayant permis de décrire Jeddaherdan apparaissent faussées et indistinguables de celles d’Uromastyx.

Ainsi Vullo et ses collègues en concluent que l’holotype de J. aleadonta (MNHN.F.MRS51.1) date en réalité du Quaternaire et ne présente aucune caractéristique permettant de le distinguer d’Uromastyx. Ils déclarent que Jeddaherdan est un synonyme junior d’Uromastyx et que J. aleadonta est un nomen dubium, référant ainsi MNHN.F.MRS51.1 à Uromastyx sp. La seule espèce actuelle d’Uromastyx présente dans la région des Kem Kem est U. nigriventris et MNHN.F.MRS51.1 pourrait en être un spécimen. Toutefois le fait que ce spécimen date de plusieurs milliers d’années et que la distribution d’Uromastyx au Quaternaire est mal connue rend préférable la désignation de MNHN.F.MRS51.1 comme U. sp.

Ainsi cette réinterprétation vient perturber les analyses sur l’origine évolutive des iguaniens mais fait aussi la lumière sur l’existence de contaminations de sites fossiles par des spécimens plus jeunes susceptibles de créer de grandes confusions si aucune attention n’y est prêtée.
Références : Vullo, R.; Bailon, S.; Dauphin, Y.; Monchot, H.; Allain, R., 2022, A reappraisal of Jeddaherdan aleadonta (Squamata: Acrodonta), the purported oldest iguanian lizard from Africa. Cretaceous Research. 105412.
Apesteguía, S.; Daza, J.D.; Simões, T.R.; Rage, J.-C., 2016, The first iguanian lizard from the Mesozoic of Africa. Royal Society Open Science. 3, 160462.
Toutes les images proviennent de Vullo et al., 2022 à l’exception de la première qui provient d’Apesteguia et al., 2016