Ecologie et partition de niche chez Hauffiopteryx et Stenopterygius

Les ichthyosaures présentent une morphologie particulière pleine de spécialisations pour la nage et la chasse de poissons ou de vertébrés. Leur écologie est particulièrement bien connue avec de magnifiques spécimens préservant des tissus mous et des contenus stomacaux. Il arrive souvent que plusieurs genres coexistent dans un environnement mais la partition des niches écologiques entre les ichthyosaures est mal connue. Jamison-Todd et ses collègues étudient ainsi un spécimen de Stenopterygius triscissus (BRLSI M1409) et un spécimen d’Hauffiopteryx typicus (BRLSI M1399) pour tester leurs adaptations écologiques et l’existence ou non d’une partition de niche écologique entre les deux genres.

Photographies des crânes analysés par Jamison-Todd et ses collègues (a- BRLSI M1409, Stenopterygius triscissus ; b- BRLSI M1399, Hauffiopteryx typicus)

Les deux spécimens sont des crânes d’individus juvéniles et proviennent de la même localité de Strawberry Bank, dans le Toarcien de la formation géologique de Beacon Limestone (Somerset, Angleterre). Pour une étude optimale, les crânes ont été reconstruits en 3D par Jamison-Todd et ses collègues et les parties manquantes ou déformées ont été reconstruites en miroir avec les parties connues. La musculature des mâchoires de chacun des crânes a également été reconstruite à l’aide des modèles 3D, pour avoir un ensemble de données le plus pertinent possible. Un calcul de force de chaque muscle a ainsi pu être effectué pour connaitre les contraintes musculaires du crâne en plus des contraintes squelettiques.

Reconstitution de la musculature des mâchoires sur une moitié du crâne de S. triscissus (a-c) et de H. typicus (d-f)

Les deux spécimens présentent un crâne globalement similaire mais celui de H. typicus a un museau plus gracile et une orbite plus large que celui de S. triscissus. S. triscissus présente des dents larges et recourbées contrairement à celles de H. typicus qui sont minces et droites. Il n’y a aucun espace entre les dents de S. triscissus tandis que celles de H. typicus sont espacées de 1 à 3 millimètres. H. typicus a une zone crânienne proportionnellement plus grande par rapport au museau que S. triscissus.

Reconstitutions squelettiques (sans échelle) de H. typicus (A, provenant de Maxwell et Cortès, 2020) et S. triscissus (B, provenant d’Anderson et al., 2018)

L’analyse mécanique de Jamison-Todd et ses collègues prenant en compte la musculature a mis en évidence une plus grande force de morsure chez H. typicus (56 N à l’extrémité de la rangée des dents) que chez S. triscissus (14 N à l’extrémité de la rangée des dents). Le crâne de H. typicus présente des contraintes de morsure plus élevées et plus largement réparties que pour celui de S. triscissus. Ainsi H. typicus était moins résistant aux contraintes alimentaire, et aurait été moins adapté pour écraser les aliments que S. triscissus malgré sa musculature plus forte. Le déplacement du point de morsure au niveau des mâchoires de S. triscissus ne modifie quasiment pas ces contraintes, montrant que celui ci pouvait mordre efficacement à n’importe quel endroit. Il était ainsi bien adapté pour mordre de grosses proies, avec le soutien de ses grandes dents incurvées. Le crâne de H. typicus est plus sensible à ces déplacements, ce qui le rend moins résistant aux lors de morsures.

Répartition du stress occasionné sur le crâne par une morsure appliquée à un point postérieur de la mâchoire (a et c), médian de la mâchoire (b et d) et antérieur de la mâchoire (e) sur les crânes de S. triscissus (a-b) et H. typicus (c-e)

Ainsi le crâne de H. typicus apparait comme étant plus adapté à des morsures rapides mais sur des proies molles, avec peu de résistance mécanique, tandis que celui de S. triscissus était adapté à des morsures puissantes sur de plus grosses proies lentes et plus résistantes. Toutes ces adaptations mises en évidence par Jamison-Todd et ses collègues suggèrent que Stenopterygius triscissus était adapté pour écraser ou déchirer ses proies, et peut avoir chassé de gros poissons et/ou calamars. Hauffiopteryx typicus se serait plutôt nourri de proies plus molles et plus rapides comme de petits poissons ou des invertébrés de petite taille.

Références : Jamison-Todd, S.; Moon, B.C.; Rowe, A.J.; Williams, M.; Benton, M.J., 2022, Dietary niche partitioning in Early Jurassic ichthyosaurs from Strawberry Bank. Journal of Anatomy.

Maxwell, E.E.; Cortés, D., 2020, A revision of the early Jurassic ichthyosaur Hauffiopteryx (Reptilia: Ichthyosauria), and description of a new species from southwestern Germany. Palaeontologia Electronica. 23(2): a29.

Anderson, K.L.; Druckenmiller, P.S.; Erickson, G.M.; Maxwell, E.E., 2018, Skeletal microstructure of Stenopterygius quadriscissus (Reptilia, Ichthyosauria) from the Posidonienschiefer (Posidonia Shale, Lower Jurassic) of Germany. Palaeontology. 63(3): 433-449.

Toutes les images proviennent de Jamison-Todd et al., 2022 à l’exception de l’avant dernière qui est composée d’une reconstitution dans Maxwell et Cortès, 2020 et d’une autre dans Anderson et al., 2018

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