A Vegagete, en Espagne, les restes d’un troupeau de petits ornithopodes a été découvert dans la formation géologique de Castrillo de la Reina (Barrémien-Aptien). Dieudonné et al. 2016 ont défini le genre d’ornithopode de Vegagete comme un rhabdodontomorphe. Les individus sont de très petite taille et d’âges différents (de nouveau-né à subadulte) mais leur statut ontogénique est flou, ce qui a retenu les paléontologues d’en faire un nouveau genre (en effet il est possible que ces individus soient une forme juvénile d’un genre déjà connu). Chez les iguandodontiens, on observe une transition bipède-quadrupède (dans un sens comme dans l’autre). Classés au sein d’Iguanodontia, les rhabdodontomorphes ont depuis toujours été considérés comme des bipèdes mais leur posture n’a jamais fait l’objet d’une étude. Dieudonné et ses collègues ont ainsi étudié les caractéristiques de l’ontogénèse de l’ornithopode de Vegagete afin de mettre en évidence un changement de posture au cours de l’ontogénèse chez les rhabdodontomorphes.

L’analyse ostéohistologique des spécimens de l’ornithopode de Vegagete signale que plus les individus analysés sont grands et plus ils sont âgés, ce qui limite la possibilité d’une grande variation de taille chez ce genre. Cette analyse nous apprend également que l’ornithopode de Vegagete avait un taux métabolique élevé, atteignant sa maturité sexuelle en un peu plus d’un an. Ce taux de croissance élevé s’explique par la miniaturisation de l’animal (il mesurait environ 75 centimètres de longueur à l’âge adulte), suite à une intense pression des prédateurs. En effet, les jeunes sont souvent les plus vulnérables aux prédateurs et la solution pour permettre la survie de l’espèce avec une aussi petite taille est d’augmenter la vitesse de croissance, ce qui se traduit par un taux métabolique plus élevé. Toutefois, cela n’a été permis que par l’accès à une grande quantité de nourriture présente dans l’environnement chaud et humide où vivait l’ornithopode de Vegagete.

Dieudonné et ses collègues ont découvert que l’ornithopode de Vegagete est passé d’une position quadrupède à une position bipède pendant sa croissance. Ils ont ensuite analysé d’autres rhabdodontomorphes pour étudier ces changements de posture dans leur globalité. Mochlodon présente une morphologie qui suggère une condition similaire à celle de l’ornithopode de Vegagete avec une quadrupédie chez les jeunes progressant vers une bipédie facultative à l’âge adulte. En revanche, Zalmoxes et Rhabdodon étaient incapables de bipédie à l’âge adulte, mais adoptaient une marche quadrupède dynamique dérivée de caractères provenant de leurs ancêtres bipèdes. Dieudonné et ses collègues ont analysé les fossiles du rhabdodontomorphe basal Muttaburrasaurus, en arrivant à la conclusion qu’au cours de sa croissance, le genre passait progressivement d’une position bipède à une position quadrupède. Ainsi, à l’âge adulte Muttaburrasaurus pouvait seulement se mettre en position bipède pendant de courts instants, probablement pour se nourrir. Les autres rhabdodontomorphes sont connus de peu de fossiles, souvent fragmentaires, ce qui a longtemps limité l’étude de leur posture. La différence de posture adulte entre Muttaburrasaurus et les autres rhabdodontomorphes s’explique par sa taille bien plus grande (8 mètres) qui l’aurait contraint à une marche quadrupède pour supporter son poids.

De par son extrême petite taille, l’ornithopode de Vegagete apparaît comme un « ancêtre » nain des rhabdodontidés du crétacé supérieur qui mesuraient plusieurs mètres. Jusque là, les rhabdodontidés étaient considérés comme des petits ornithopodes sujets au nanisme insulaire (ils vivaient au crétacé supérieur en Europe, qui était alors un archipel de petites îles). L’analyse de l’ornithopode de Vegagete par Dieudonné et ses collègues donne un tout autre sens à la taille des rhabdodontidés, suggérant qu’ils étaient en fait en augmentation de taille au crétacé supérieur, malgré leur habitat insulaire. L’analyse de la morphologie des membres de l’ornithopode de Vegagete révèle que c’était, à l’âge adulte, un coureur rapide sur de petites distances. Il adoptait donc une stratégie de fuite rapide face aux prédateurs grâce à sa bipédie. Plus tard, les rhabdodontidés se sont retrouvés dans un environnement insulaire avec des risques de prédation drastiquement diminués, ce qui a rendu superflue la bipédie pour la vitesse et entraîné un retour progressif vers la quadrupédie que l’on retrouve chez Zalmoxes ou Rhabdodon.
Références : Dieudonné, P.-E.; Fernández-Baldor, F.T.; Stein, K., 2022, Histogenesis and growth dynamics of the tiny Vegagete rhabdodontomorph hindlimb (Ornithischia, Ornithopoda): paleoecological and evolutionary implications. Cretaceous Research. 105342.
Dieudonné, P.-E.; Tortosa, T.; Torcida Fernández-Baldor, F.T.; Canudo, J.I.; Diaz-Martinez, I., 2016, An unexpected early rhabdodontid from Europe (Lower Cretaceous of Salas de los Infantes, Burgos Province, Spain) and a re-examination of basal iguanodontian relationships. PLoS One. 11: e0156251.
Toutes les images proviennent de Dieudonné et al., 2022 à l’exception de la première qui provient de Dieudonné et al., 2016 et de la dernière qui est une œuvre de Scott Hartman