Les carapaces des tortues ont longtemps été un sujet de débat quand à leur développement et leur origine. Les carapaces des premières tortues du trias (Proganochelys, Proterochersis, Palaeochersis et Waluchelys notamment) sont assez bien connues et leur histologie particulière a déjà été mise en évidence. Chez ces Testudinata basales, on observe fréquemment une ankylose (ossification complète) de la carapace sur des individus de taille variée, un phénomène généralement observé chez les vieux individus et qui se produit en général des suites d’un dommage à la carapace. Pour étudier ce phénomène ainsi que l’ontogénèse des premières tortues, Szczygielski et Slowiak ont étudié 18 spécimens de Proterochersis porebensis, une espèce de Proterochersis connue du Norien de Pologne.

Le mécanisme d’ankylose se produit généralement chez les tortues des suites de dommages graves et profonds causés à la carapace (qu’ils soient dus à des infections, des prédateurs ou encore des incendies). Les détails de ce phénomène sont mal connus et se basent surtout sur les analyses histologiques des carapaces. Il est toutefois admis que ce processus permet la régénération de la carapace, même totalement, ce qui consiste en un grand avantage évolutif. Au vu de l’ankylose détectée chez Proterochersis porebensis, ce caractère pourrait être commun à toutes les Testudinata. L’évolution de ce caractère pourrait s’expliquer par une terrestrialisation des tortues, les faisant ainsi rencontrer de plus grands prédateurs et les confrontant à une quantité croissante de feux de forêts au trias supérieur. Les tortues étant des animaux à la longue durée de vie, cette régénération par ankylose semble être une réponse évolutive développée par les premières tortues terrestres face aux contraintes du trias supérieur.

L’ankylose de la carapace de Proterochersis porebensis est assez problématique du point de vue du développement car elle est également observée chez des individus juvéniles supposés, notamment en oblitérant des sutures de la carapace (les sutures sont les principales zones de croissance de la carapace des modernes) alors que leur oblitération met fin à la phase de croissance de l’animal chez les tortues modernes. Pour expliquer cette anomalie, Szczygielski et Slowiak proposent que la carapace de Proterochersis pourrait hypothétiquement, bien qu’avec une efficacité limitée, croître et conserver sa géométrie après l’ankylose avec un phénomène de remodelage utilisant d’anciens tissus osseux. Cette ankylose prématurée et survenant à des stades de développement variés est une caractéristique inconnue chez les tortues actuelles et son explication reste donc floue.

Des différences entre les carapaces des Proterochersis juvéniles et celles des adultes observées par Szczygielski et al. 2018 pourraient s’expliquer par l’ankylose de la carapace lors de l’ontogénèse selon Szczygielski et Slowiak. L’analyse de la structure de la carapace du genre permet ainsi de faire la lumière sur des changements ontogéniques méconnus chez les premières Testudinata.
La microstructure de la carapace d’une tortue, révélée par analyse histologique, permet dans une certaine mesure de déduire son écologie (terrestre/pélagique/néritique). La majorité des tortues du trias présentent une microstructure de carapace correspondant à un mode de vie terrestre. Toutefois, Proterochersis robusta fait exception avec une microstructure de la carapace qui pourrait indiquer un mode de vie néritique (semi-aquatique), ce qui restait jusque là douteux en l’absence d’une étude plus approfondie. Les différences dans la microstructure de la carapace de Proterochersis porebensis par rapport aux tortues terrestres soutiennent le mode de vie semi-aquatique pour Proterochersis. Szczygielski et Slowiak mettent toutefois en évidence une particularité : les grands individus (adulte) de Proterochersis ont une microstructure de tortue terrestre tandis que les individus plus petits (jeunes) ont une microstructure de tortue néritique. Ce changement de microstructure lors de l’ontogénèse signifie également un changement de mode de vie, avec des jeunes Proterochersis semi-aquatiques qui, en grandissant, devenaient terrestres. Il faut noter que le modèle basé sur la microstructure de la carapace à ses exceptions et que ces conclusions sur le mode de vie de Proterochersis doivent être confirmées par des données supplémentaires.

Références : Szczygielski, T.; Slowiak, J., 2022, Shell histology of the Triassic turtle, Proterochersis porebensis Szczygielski & Sulej, 2016, provides novel insights about shell ankylosis. Comptes Rendus Palevol. 21(29): 619-679.
Szczygielski, T.; Slowiak, J.; Drózdz, D., 2018, Shell variability in the stem turtles Proterochersis spp. PeerJ. 6: e6134.
Bajdek, P.; Szczygielski, T.; Kapuścińska, A.; Sulej, T., 2019, Bromalites from a turtle-dominated fossil assemblage from the Triassic of Poland. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology. 520: 214–228.
La première et l’avant dernière image proviennent de Szczygielski & Slowiak, 2022 ; la seconde image de Szczygielski et al., 2018 ; la dernière de Bajdek et al., 2019
Un avis sur « Ankylose et écologie de Proterochersis »